Devant l'incapacité de la Ligue arabe et de l'OCI à répondre à une nouvelle configuration politique exigée par les révoltes printanières, il paraît aventureux d'avancer une analyse sereine de ce que le futur sera. On ne dispose, jusqu'à présent, que d'éléments nombreux, certes, mais combien difficiles à mettre en cohérence. En réalité et pour comprendre ce phénomène nouveau après plusieurs décennies de dictature, de privation de libertés publiques, il est utile de déconstruire l'ensemble des hypothèses en tentant d'exclure cette fameuse main étrangère qui structure les déclarations de gouvernants, refusant tout simplement de se remettre en cause. Une sorte de «chèvre, même si elle vole». Depuis le soulèvement tunisien qui comporte des caractéristiques particulières en comparaison à ce qui s'est passé dans les autres pays arabes, il est utile, voire urgent, que les analyses prennent en compte la place de l'islamisme dans la matrice des courants politiques qui surgiront une fois le calme revenu, après la décantation. Même si la Tunisie a connu une véritable révolution qui ne manquera pas de faire couler autant d'encre que de salive, on aura remarqué comment les «Nahdistes» ont su s'incruster dans le mouvement de révolte pour se positionner en véritable force politique, avec laquelle il faudra compter. Ont-ils su cacher habilement leur rôle dans le soulèvement populaire et paraître au grand jour une fois le régime de Ben Ali tombé ? Probablement, mais cela illustre bien les esquives par lesquelles se distingue l'islamisme politique connu pour savoir renaître des cendres d'autrui, sans trop se brûler. La différence avec les autres pays, c'est qu'en Tunisie, islamistes et communistes, deux entités antinomiques par essence, s'assoient à la même table et débattent. Pour le moment. Le choix du vendredi avec des qualificatifs différents, cachant mal le sens voulu par les révoltes dans les autres pays arabes, déterminera probablement la suite des évènements en guise de légitimation de la voix à suivre. Rappelons pour les besoins de la clarification que le terme «islamisme» est de création française, et l'usage de ce mot est attesté en français depuis le XVIIIe siècle, où Voltaire utilise le terme pour remplacer «mahométisme» pour signifier « religion des musulmans». On trouvera le mot dans cet usage synonyme de l'actuel mot «Islam» jusqu'à l'époque de la Première Guerre mondiale. Y a-t-il une autre terminologie à affecter à la situation des pays arabes ou alors une façon différente pour approcher cette question ? Cela dépendra de la mobilisation de l'ensemble des acteurs et particulièrement les scientifiques, mais aussi ceux qui se prétendent islamistes, courant hétérogène, aux ramifications parfois en conflits les unes par rapport aux autres. Ces conflits ne laissent pas indifférents les autres pays musulmans non arabes que l'Organisation des pays islamiques essaie d'organiser en entité religieuse respectueuse d'un minimum qui doit faire l'union. Lorsqu'on apprend que cette entité se distingue par une faiblesse manifeste des facteurs de développement, on a tendance à réfléchir à deux fois pour y placer un quelconque espoir. On considère que «40% des enfants du monde chrétien ayant appris à lire fréquentent l'université. Dans le monde musulman, seuls 2% en font autant», selon le Dr Saleem Farrukh, avant d'ajouter que c'est «parce que nous ne savons pas produire de la connaissance.» Quand le monde musulman dépense 0,2% de son PIB en recherche/développement, le monde chrétien y consacre environ 5%. Le monde arabe obéit aux mêmes critères et se situe parfois plus bas que ces indicateurs. La première cause reconnue de cette faiblesse est bien sûr la fermeture du champ d'expression, la liberté de penser étant une condition indispensable pour libérer les énergies dormantes et l'alternance au pouvoir sa forme la plus indiquée. Alors, dirons-nous, que peut-il arriver à l'Algérie face aux choix qui risquent de s'imposer à la lumière de ce qui se passe dans les pays arabes, mais aussi face à la réouverture du registre politique où des partis islamistes, dans leurs diverses versions,peuvent revenir au-devant de la scène ? Certains analystes pensent que le scénario du FIS n'est plus valable et aucune reddition n'est plus possible, compte tenu des mutations du contexte arabe et international. Cela n'exclut en rien une vigilance de l'Etat et des citoyens fragilisés par la situation socio-économique. L'islamisme en Algérie a pris des formes violentes du fait de l'absence d'écoles doctrinaires capables de le mobiliser et de lui donner un sens, contrairement à l'Egypte avec El Azhar et la Tunisie avec Ezeïtouna. En Algérie, le mouvement des zaouïas, capable de se positionner en partenaire raisonnable, a été laminé puis caporalisé avant de passer à un islamisme issu de la seule contestation sociale prise en charge à travers des réseaux de solidarité. Cela pose évidemment des questions importantes dans l'attente de la publication du rapport de la concertation lancée par le président de la République. Et si l'avenir sera islamiste, ce qui ne dérange nullement les intérêts occidentaux particulièrement après le coup porté à Al Qaîda, il sera dû en grande partie à la confiscation de la parole des autres catégories sociales, qui sont mal représentés aussi bien par des partis hippiques, tout juste bons à courir après des postes que par une classe qui se prétend intellectuelle et qui sait se taire face aux dangers.