Chaque année, l'annonce des bilans de fin de campagne ou des préparatifs de début de saison repose la question des statistiques agricoles et de leur fiabilité. La question devient encore plus pertinente lorsque des contradictions émaillent assez souvent les statistiques émanant des différents services.C'est le cas du bilan de la saison céréalière 2010/2011 annoncé récemment par le ministère de l'Agriculture et du Développement rural qui fait ressortir un recul de la production globale obtenue cette année (42 millions de quintaux contre 45 millions la saison d'avant). Mais un simple suivi des résultats annoncés par wilaya c'est, plutôt, une hausse de la production qu'il y a lieu de relever. Sinon, comment expliquer ce recul de la production nationale alors que durant la saison l'ensemble des wilayas concernées par la céréaliculture affirmait avoir «atteint», voire, «dépassé» les objectifs tracés dans leurs contrats de performance respectifs. Cependant, des écarts importants entre les statistiques concernant la production nationale céréalière annoncées par le ministère de tutelle et celles relatives aux importations de blé durant l'année en cours publiées par les organismes affiliés à la direction générale des Douanes sont constatés. En effet, au mois d'août dernier, le CNIS a fait savoir que la facture céréalière durant les six premiers mois de l'année 2011 a atteint 1,5 milliard de dollars, alors qu'à la même période de l'année d'avant la valeur des importations céréalières n'a pas dépassé les 665 millions USD. Cette hausse n'est pas imputable uniquement à la hausse des prix des produits de base sur le marché international puisque les importations de blé ont connu une croissance sensible en volume. Ainsi, durant cette période de 6 mois, l'Algérie a importé 39,7 millions de quintaux de blé, alors qu'à la fin juin 2010, le volume des importations a été de 29,3 millions de quintaux. Le directeur de la régulation au ministère du Commerce a expliqué ce recours massif aux importations par la diminution des stocks céréaliers de l'Algérie qui a atteint des niveaux relativement importants. Duel production/importation Au-delà de la langue des chiffres, qui est le discours favori des pouvoirs publics à tous les niveaux, les statistiques sur la filière céréalière font ressortir tout de même des contradictions qui alimentent le doute : En 2010, l'Algérie a importé 52,3 millions de quintaux de blé, alors que la production locale durant la même année, selon le ministère de l'Agriculture, a atteint les 47 millions de quintaux, toutes céréales confondues, mais une grande partie est constituée de blés tendre et dur. A la fin de l'année en cours, les importations de blé atteindront, voire dépasseront, facilement les 60 millions de quintaux, puisque près de 40 millions de quintaux ont été déjà enregistrés à la fin juin dernier. Cette situation paradoxale et caractérisée par des contrastes multiples n'a pas manqué de susciter des réactions critiques parmi les spécialistes en la matière. Interrogé sur les taux de croissance et les objectifs escomptés à travers les contrats de performance, le professeur Mokrane Barchiche, de la faculté d'agronomie de l'université de Tizi Ouzou estime qu'«avant de lancer les contrats de performance, il fallait préparer le secteur. Or, tout a été fait dans la précipitation sans penser au contrôle de ces performances. Actuellement, les statistiques qui sont publiées ne sont que des chiffres administratifs, alors que pour connaître la situation réelle du secteur, le travail doit se faire en permanence sur le terrain. C'est-à-dire, il faut enregistrer et pour recueillir l'information et l'enregistrer, il faut avoir une méthodologie. Ce n'est qu'à partir de là qu'on peut connaître les performances réelles des fermes. Chose qui ne se fait pas actuellement en Algérie». Le chercheur Omar Bessaoud de l'institut agronomique méditerranéen de Montpellier, lui aussi, estime que la modernisation de l'aspect relatif aux statistiques agricoles est primordiale et incontournable pour la mise en œuvre d'une politique agricole efficace en Algérie. En outre, les contreperformances enregistrées par la filière céréalière cette année relancent également la question de l'efficacité des choix entrepris. En effet, le recul de la production n'a pas pu être empêché en dépit d'importants moyens mobilisés durant la saison. Selon toujours les statistiques du ministère de tutelle, la campagne 2010/2011 a été marquée par un progrès significatif dans la diffusion et l'utilisation des techniques modernes, qui s'est traduit par un accroissement de 28% par rapport à la saison d'avant en termes d'utilisation de semences certifiées, un accroissement de 23% dans l'utilisation des engrais de fonds et de 30% pour les engrais de couverture ainsi que l'augmentation de près de 10% des superficies désherbées et destinées aux cultures céréalières. Mais malgré tous ces efforts déployés, les résultats atteints à la fin de la campagne ne font que confirmer, encore une fois, la vulnérabilité persistante de la filière céréalière et la forte dépendance de l'Algérie vis-à-vis des importations.