La charte pour la paix et la réconciliation n'a pas encore accouché de ses textes d'application, mais en attendant sa substance réglementaire, la charte, approuvée par référendum populaire, n'est, présentement, qu'une subtilité sémantique qui susciterait des jeux sordides et des dérives du genre. Profitant de l'attentisme observé par les autorités officielles quant aux suites juridiques devant donner corps au document de base, un ancien émir sanguinaire - Madani Mezrag - a, encore une fois, fait monter les enchères en cherchant, à l'évidence, à tirer le plus grand profit possible de l'impunité. Les propos qu'il a tenus au correspondant de L'Intelligent sont, de tout point de vue, une véritable idéologie de haine et du fanatisme. L'ancien chef national de l'AIS s'est, en effet, targué d'avoir fait une « guerre juste et passé un accord, les armes à la main, avec l'état-major de l'armée ». Mezrag est allé, cette fois-ci, trop loin en faisant ouvertement l'éloge d'un drame national. Dans sa narration de ses « hauts faits d'armes », il a même osé, toute honte bue, citer quelques-uns de ses « exploits guerriers ». Sa proie du jour : un jeune militaire à qui il a arraché une kalachnikov au moment où il agonisait. Il l'a même vu râler au moment où il rendait l'âme. Sans sentiment ni regret. L'image rappelle la barbarie et le cynisme dans leur stade le plus abject. La sauvagerie de ces actes, fussent-ils perpétrés contre celui qu'il a choisi pour ennemi, est inqualifiable. Combien d'autres morts innocents a-t-il sur la conscience ? L'ancien terroriste ne le dit pas. Cependant, il dit ne rien regretter. Hier, ce fut par le sabre qu'il tranchait les gorges de ses victimes. Aujourd'hui, c'est par l'ignominie de ses paroles qu'il salit leur mémoire. « Je suis convaincu presque à 100 % que le courant islamiste va dominer la société », a-t-il également souligné. En lisant cette phrase, on se rend compte que Mezrag, même quand il prêche une fausse tolérance, n'a pas vraiment changé. Il garde toujours le même profil. Celui d'avant sa capitulation en 1997. Derrière sa « voix douce », pour reprendre la description du journaliste de L'Intelligent, se cache un monstre qui a tué des vies humaines, détruit des valeurs, pétrifié la société pour que son idéologie s'en empare. Il a semé la terreur, racketté la population et peut-être violé des femmes et des enfants. Pour éviter la litanie, disons un brigand, un criminel dont la tête fut mise à prix. Néanmoins, devant l'impunité qui ronge le pays, Mezrag est sorti, de la guerre qu'il a livrée à son pays, bien galonné. Un super-citoyen au-dessus de la loi. Aujourd'hui, l'ancien terroriste demande plus que l'absolution de tous ses crimes ignobles et ceux de ses troupes. Heureux les martyrs qui n'ont rien vu ! Il veut une république théocratique qu'il croit, encore, pouvoir édifier sur les 200 000 cadavres qui peuplent nos cimetières. Revigoré par l'attitude permissive des hautes autorités du pays, Mezrag ne compte pas renier ses convictions surannées. Voilà le vrai visage de celui qu'on qualifie aujourd'hui de l'un des « braves et dignes enfants de l'Algérie ». Voilà la vraie nature de celui qui, aujourd'hui, fréquente les salons d'honneur, fait la une des journaux, anime des meetings, reçoit les traitements de faveur. Lors d'un meeting du FLN à Constantine, on a même « invité » un député du même parti à céder sa place à Madani Mezrag en sa qualité d'invité d'honneur ! C'est l'échelle des valeurs renversée. Aujourd'hui encore, la nation se sent attaquée, meurtrie par cette énième sortie médiatique, à travers laquelle un ancien sanguinaire fait l'apologie de crime et glorifie une décennie sanglante pour toute l'Algérie et dont la cicatrice est toujours mal refermée. La nation doit se lever et se défendre. Mezrag doit répondre de ses actes et de ses déclarations devant la justice nationale pour que ses pairs sachent qu'aucune prime à la haine ne saurait leur être reconnue. Contacté, Me Boudjemaâ Ghachir, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), a préféré les sentiers de la prudence. « Il faut attendre les textes de loi pour voir plus clair », a-t-il dit. Toutefois, a-t-il ajouté, « la charte pour la paix et la réconciliation nationale innocente Mezrag quant à ses actes, mais il doit être poursuivi pour avoir fait l'éloge d'une période meurtrière de l'histoire de l'Algérie », a-t-il tranché. Mezrag sera-t-il ainsi poursuivi ? La réponse est affirmative, du moins du point de vue théorique. D'ailleurs, dans le premier chapitre du texte portant charte pour la paix et la réconciliation nationale, il est clairement indiqué que « ...le peuple algérien affirme que nul, en Algérie ou à l'étranger, n'est habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne, fragiliser l'Etat, nuire à l'honorabilité de tous ses agents qui l'ont dignement servi ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international ». Dans le troisième alinéa du chapitre III, il est ajouté que « ...le peuple algérien souverain décide que le droit à l'exercice d'une activité politique ne saurait être reconnu à quiconque ayant participé à des actions terroristes et qui refuse toujours, malgré les effroyables dégâts humains et matériels commis par le terrorisme et l'instrumentalisation de la religion à des fins criminelles, de reconnaître sa responsabilité dans la conception et dans la mise en œuvre d'une politique prônant le pseudo-djihad contre la nation et les institutions de la République ». A travers sa sortie, Mezrag a versé dans des déclarations politiques susceptibles de lui ouvrir les portes de la prison. A moins que l'impunité prenne l'avantage sur la justice, la mémoire et la raison. Heureux les martyrs qui n'ont rien vu !