Selon Abderrahmane Hadj-Nacer, le débat d'idées est devenu compliqué en Algérie du fait de la paranoïa ambiante et des manipulations à plusieurs étages. L'essai de Abderrahmane Hadj-Nacer, La Martingale algérienne, réflexion sur une crise, publié par les éditions Barzakh, est un succès en librairie. Une deuxième édition vient d'être faite pour un livre qui – pour une fois – a provoqué un débat sérieux sur l'Algérie, ses modes de gouvernance, son histoire, son économie, sa culture. Malgré cet intérêt du public, l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie n'a pas été convié à une conférence ou à une table ronde lors du 16e Salon international du livre d'Alger (SILA) sur ce livre de réflexion. «Sincèrement, je n'ai pas voulu être présent à ces débats. Car chez nous, dès qu'on veut faire partie d'un débat, on a l'impression de faire une offre, une demande de fonction quelconque. C'est devenu très délicat», nous a-t-il déclaré en marge d'une séance de vente-dédicace au SILA. Selon lui, certaines personnes ont considéré que la sortie du livre et l'interview accordée à El Watan Week-end ont été «commanditées» par un clan du régime. «Certains disent que vu mon âge, j'aurai l'ambition d'arriver à je ne sais quel statut suprême. Il est donc difficile de participer à un débat pour dire que j'ai des idées à soumettre à la discussion. Le champ du débat est miné. Nous sommes par ailleurs tous paranoïaques, en Algérie. Et nous avons été éduqués dans la paranoïa permanente. Par ailleurs, il y a des manipulations. Donc entre la paranoïa et la réalité des manipulations, le débat devient compliqué», a observé M. Hadj-Nacer, qui est revenu sur l'organisation, ces derniers jours, de deux colloques sur les révoltes arabes à Alger et sur les commentaires de salon qui les ont suivis. «Il est difficile de faire comprendre aux gens que ce n'est pas forcément un clan du pouvoir contre un autre et qu'il n'est pas interdit, en tant qu'intellectuel, d'y participer. On en est donc à cette situation», a-t-il appuyé. Cela n'est-il pas lié à la dépolitisation de la société entretenue par le pouvoir depuis trois décennies ? «Dans le fond, tout cela arrange le système. On n'a pas besoin de mettre un agent de contrôle derrière chaque intellectuel, derrière chaque citoyen», a-t-il répondu. M. Hadj-Nacer est satisfait du fait que ceux qui ont découvert l'algorithme de son livre sont d'abord des jeunes lecteurs et non pas des personnes de son âge (60 ans). «Dans le fond, ces jeunes s'y sont retrouvés. Je me suis exprimé un peu comme tout le monde. Des jeunes de moins de trente ans ont réussi à comprendre la clef que je n'ai pas donnée dans le livre. Cela m'a fait beaucoup plaisir», a-t-il noté. Selon Sofiane Hadjadj, un des responsables des éditions Barzakh, La Martingale algérienne a été piraté sur internet. «Pour moi, c'est un bon signe. S'il est piraté sur internet, c'est qu'il y a une demande. On ne pirate pas des choses inintéressantes», a-t-il souligné. Dans la deuxième édition de La Martingale algérienne, Kamel Daoud, journaliste et écrivain, a préfacé le livre. Ses mots sont limpides comme l'eau de roche : «La martingale algérienne est un livre d'une justesse parfois hallucinante. Je le relis, et sur mon dos, les points du jeu de dés, et dans mon muscle, le rebondissement que personne ne peut contrôler. Tout est presque échec, donc sauf l'essentiel : l'homme dans chaque Algérien.» Sous le titre La Main invisible, M. Hadj-Nacer a écrit une postface dans laquelle il revient sur les contacts et commentaires des lecteurs de la première édition. Il analyse en profondeur «la crise économique» actuelle qui, à ses yeux, est de nature politique ainsi que «les déséquilibres» du monde. Il évoque l'existence d'un lien entre le Printemps arabe et le mouvement des «indignés» européens : «Ce rôle central d'une jeunesse éduquée, autonome par rapport à la classe politique en place, exigeante dans sa volonté de participer à la gestion de la cité et dans sa remise en cause des formes de participation et de la légitimité des pouvoirs.» Partout, les pouvoirs n'arrivent pas, selon lui, à faire face à ces mouvements de contestation et ne remplissent plus leur fonction de la répartition des revenus…