Edward El Kherrat est un innovateur. C'est lui qui, après Naguib Mahfouz, a révolutionné le style et la forme du roman égyptien. Dans le style, Edward El Kherrat a apporté la densité, la concision et la précision. Plus de mots vagues, plus de phrases simples, le paragraphe est devenu plus long et la narration plus dense. Il a introduit aussi la description optique qui a fait son chemin aujourd'hui dans le roman arabe qui est devenu moderne et n'a rien à envier à celui écrit en Occident. Pour maintenir le suspense, le grand romancier égyptien fait appel, avec plus ou moins de bonheur, à tous les ingrédients techniques du roman moderne. Dans ses romans, le lecteur - comme le personnage - subit un traitement d'électrochoc : l'accumulation de jeux de mots, la répétition de situations et l'invraisemblance allant précisément jusqu'à l'absurde. Le romancier va ruer au travers la production romanesque arabe des années 1950, imaginant et convoquant un ciel perpétuellement tourmenté et des flots rageurs. En effet, un des phénomènes les plus frappants de la fin des années 1950 est l'apparition d'un nouveau type de roman arabe, dont l'effet sur le lecteur est semblable à la fascination des premiers films arabes. C'est ainsi qu'Edward El Kherrat devint un exemple dans la littérature arabe, avouant le dédain de cette gloire des lettres, qui avait pris, elle, aux cheveux, ses aînés. Ce qui lui importait c'est de tordre le cou à l'éloquence - chère aux écrivains arabes - pour ployer le langage jusqu'à ce qu'il puisse métamorphoser le réel rugueux. Il n'en veut plus de ce discours que le romantisme a imposé dans la littérature arabe. En ce qui concerne la forme romanesque, Edward El Kherrat abandonne, dès la fin des années 1950, la conception d'un roman, avec un début, un milieu et une fin. Il va préférer les techniques de simultanéité ou de parallélisme. Le ton de ses romans vire constamment du comique au tragique, ou plus exactement, il est simultanément comique et tragique. Il joue avec les mots, les noue en guirlandes et ne prend pas les mots au mot. Né à Alexandrie, Edward El Kherrat, depuis sa jeunesse, est resté toujours fidèle à sa ville natale. Son roman Ô filles d'Alexandrie est le symbole de cet attachement à la ville millénaire qui le vit naître et grandir dans ses rues tantôt étroites et tantôt vastes . Dans ses romans « citadins », le grand romancier égyptien introduit, dès le début des années 1960, un élément dynamique, oublié dans le roman égyptien : une certaine complexité qui parcourt le style et la forme. Edward El Kherrat va bientôt avoir 80 ans. Il a à son actif plus de 40 œuvres : des romans, des recueils de nouvelles, des essais et des traductions.