Thierry Bellefroid est journaliste, critique de bande dessinée (BD) et écrivain belge. Il est auteur de plusieurs romans dont Lâche et persévérant et Mon père, ma mère. Il a également publié un recueil de nouvelles Zestes mondains. Cette année, il a publié avec Joe Pinelli un album de BD Féroces tropiques. Il s'est intéressé à l'univers de l'édition de la BD en publiant en 2005 un essai, Les éditeurs de bande dessinée. Thierry Bellefroid a présenté pendant cinq ans (entre 2004 et 2009), le journal de 13 heures de la RTBF (Radio-Télévision belge de la communauté française). Il anime actuellement l'émission littéraire, «Livrés à domicile», diffusée par la RTBF 2. Il a participé au quatrième Festival international de la bande dessinée d'Alger (FIBDA) où il a pris part à un débat sur les difficultés de l'édition de la BD. -L'édition de la BD obéit à des règles économiques précises. Comment évolue-t-elle dans cet univers ? La BD est un secteur économique en soi. Produire des albums, payer des auteurs, stocker des livres et amener les ouvrages aux librairies, tout cela exige de l'argent. Plus il y a d'acteurs, de marché, de librairies, de personnes qui achètent et lisent la BD, plus il existe de possibilités pour que tout le monde s'en sorte. Si nous restons dans une économie où chacun se bat pour sa propre survie, il y aura essoufflement dans l'édition. Il y aura moins de prise de risques, d'initiatives. -En Europe, la BD a-t-elle la même «audience» qu'en Belgique et en France ? Cela dépend des pays. La BD est moins présente en Espagne, mais, en Italie, en Serbie et en Allemagne, par exemple, la BD compte beaucoup de lecteurs. Idem pour la Corée du Sud, le Japon et les Etats-Unis. Il y a beaucoup d'endroits où la BD est populaire. Le problème en Afrique est celui de l'accès au livre, pas uniquement la BD. Le pouvoir d'achat est faible. S'ajoute à cela, le manque de diffuseurs et de librairies. J'ai vu qu'ici, en Algérie, les prix des livres sont presque identiques à ceux pratiqués en Europe. Des prix qui sont 10 fois plus chers par rapport à nous en raison de la différence du pouvoir d'achat. Il y a donc difficulté à créer un marché lorsque des acteurs ne peuvent pas se rencontrer. Il faut d'abord créer une demande et une habitude de la lecture à partir de la bibliothèque ou de Fanzines qui sont des magazines faits avec peu de moyens et peu chers. Les Fanzines permettent aussi à des créateurs d'exister. -Est-ce que la BD européenne a gardé sa personnalité face à la déferlante Manga ? Oui et non. Il y a quelques éditeurs qui ont demandé à leurs auteurs de dessiner façon manga. Finalement, cela a donné peu d'albums par rapport à l'ensemble de la production BD de style franco-belge. Ce sont les mêmes éditeurs qui produisent trop aujourd'hui et qui ont fait venir le Manga pour gagner encore plus d'argent. Ils se plaignent aujourd'hui de sa production. Mais, ils oublient qu'ils ont acheté et traduit des albums Manga parce qu'ils étaient moins chers ! Ils ont préféré acheter une licence (droits) que payer un auteur. -Pourquoi la plupart des revues de BD, à part Spirou, ont-elles disparu ? Oui, dans les revues historiques, il n'y a que Spirou qui reste sur le marché. Il date de presque soixante ans. Dans l'Europe francophone, ces magazines fleurissaient en raison de l'absence d'albums. Devenus plus importants dans le secteur, les albums ont fini par s'imposer. Cela est également lié au pouvoir d'achat des lecteurs. Lorsque vous avez 4500 titres qui paraissent chaque année, vous n'allez pas vous abonner à une revue où vous trouvez les mêmes histoires. -Depuis quelques années, les sujets de la BD sont de plus en plus sérieux… Cela remonte à trois décennies. La BD de style franco-belge a pris un tournant avec la création du périodique français Pilote (qui a cessé de paraître en 1989, ndlr). Après mai 1968, l'arrivée d'une nouvelle génération d'auteurs a fait exploser les genres et tous les cloisonnements qui existaient. Il y a aussi l'héritage du magazine A suivre, publié en Belgique par Casterman (le dernier numéro de ce mensuel est paru en décembre 1997, ndlr). Dans ce magazine, toutes les thématiques étaient prises de front par les auteurs. Rien n'était laissé de côté, mais ce n'est pas toujours cela que le public veut. Si une BD fait un succès, cela n'est pas forcément lié au fait qu'elle aborde la vie de tous les jours. Parfois, les histoires qui font rêver réussissent le mieux que les histoires où l'on évoque le pétrole. Cela dit, aborder tous les sujets ne fait plus peur. -Quelles sont les grandes tendances de la BD actuellement ? Il y a des niches qui se sont créées au fil des années et qui rencontrent un succès à l'image de l'Héroic fantasy Trinity blood, Lock, Krän le barbare, La couronne de foudre… ndlr ). La BD historique est mise de côté depuis la fin des années 1990. Elle avait connu un âge d'or durant presque quarante ans. L'autobiographie est devenue de plus en plus importante, elle a profité de l'ère des blogs pour émerger. Auparavant, l'autobiographie était plutôt romancée. Et puis, il y a la BD d'aventures. On ne la tuera jamais ! Il y a toujours des corsaires, des westerns, des BD qui existent depuis soixante ans et qui ont toujours leur public.