Le titre résume tout : «Le prophète de l'insoumission (Nabiyou al isyane). La photo exprime tout : Kateb Yacine, jeune, jetant en l'air des feuilles. D'une couleur à dominance verte, le récit de Hmida Layachi, qui vient de paraître aux éditions Socrate à Alger, suggère que la rébellion, surtout pacifique, est porteuse d'espoir. Le journaliste et dramaturge raconte, sur 187 pages, les dix ans durant lesquels il a côtoyé l'auteur de Nedjma. «J'évoque les dernières années de la vie de Kateb Yacine. Je reviens sur son parcours et sur sa face cachée. Je dévoile aussi des non-dits de l'histoire culturelle et politique de l'Algérie. Je raconte aussi comment le rêve de la révolution s'est mué en cauchemar dans les années 1990», nous explique-t-il. Lycéen à Sidi Bel Abbès, Hmida Layachi se souvient du premier spectacle de théâtre, Rajoul Al Gharb, vu en 1978 avec son ami Larbi Cheikh. «Une pièce forte, restée inscrite dans ma mémoire, chantante, satirique, politique. Le chant pour Kateb Yacine était l'âme du spectacle théâtral. Kateb était marqué par le parcours bohémien de Rachid Ksentini», relève-t-il. L'auteur cite l'exemple de la chanson Ouach rah sayer del Djazaïr (Que se passe-t-il en Algérie), écrite par Kateb Yacine. Le jeune lycéen n'a pas oublié la voix du chanteur et musicien Smaïl Habbar que Kateb Yacine a connu à Paris. Smaïl Habbar faisait partie de l'orchestre de Dahmane El Harrachi. Il n'a jamais supporté le départ brusque de Kateb Yacine. Cela était pour lui l'effondrement du rêve romantique de la révolution. Il vivait mal la mort de ses voisins, proches et amis dans son quartier de Leveilly, à Alger, devenu un fief des GIA. Ce n'était plus l'Algérie dont il rêvait. Smaïl Habbar s'est joint pour un temps aux islamistes. D'autres compagnons du théâtre de Kateb Yacine sont devenus des trabendistes», écrit H'mida Layachi. Selon l'auteur, Kateb Yacine entretenait un certain rapport avec le soufisme. «Je reviens dans le livre sur ce qu'il pensait de l'Emir Abdelkader et de Malek Benabi. Cela est peu connu de Kateb Yacine. Idem pour ce qui est de sa relation avec la culture arabe progressiste, avec les poètes Mahmoud Derouiche, Adonis, Mahdi Amel (tué en 1987 à Beyrouth, ndlr)», a-t-il relevé. L'auteur de Minuit passé de douze heures était, selon lui, favorable au pluralisme. «Il était fervent défenseur du théâtre exprimé en tamazight, en arabe dialectal, en arabe classique et en français. Cet aspect a été peu débattu», a-t-il précisé. Kateb Yacine n'avait-il pas dit : «Quand on parle au peuple dans sa langue, il ouvre grand les oreilles» ? Selon Hmida Layachi, Kateb Yacine était habité par l'esprit de la recherche et de l'atelier. «Tout était atelier chez lui», observe-t-il, en citant l'exemple de la préparation de la pièce Mohamed prends ta valise. D'après lui, l'auteur de Le Cercle des représailles avait aussi des rapports avec des symboles du régime. «Des symboles progressistes tels que Ali Zamoum qui était au ministère du Travail. Kateb Yacine avait connu Mouloud Aït Belkacem en Allemagne. Des aspects là aussi méconnus», a-t-il souligné. L'auteur a évoqué aussi le travail collectif engagé avec Kateb Yacine pour créer Masrah Al Bahr (le théâtre de la mer), la troupe L'Acte culturel puis le Théâtre de Sidi Bel Abbès. «J'ai souligné dans le récit que certains des compagnons ont rejoint la résistance contre le terrorisme, les autres se sont effondrés», note-t-il.