Le ministre algérien des Affaires étrangères, Mourad Medelci, s'est empressé d'annoncer, sur un ton triomphaliste et loin de tout examen de conscience, la visite imminente d'une délégation du CNT, avant même les dirigeants du Conseil national de transition libyens. Lors de la conférence conjointe qu'il avait animée mercredi à Alger avec le ministre britannique des AE, William Hague, il avait fourni davantage de détails sur la composition de la délégation libyenne, qui comprendra, apprend-on, des diplomates et des militaires. On saura également de même source que notre ambassadeur à Tripoli a été reçu par le président du CNT, M. Abdeljalil. Les événements semblent s'accélérer depuis quelques jours. Qu'est-ce qui a bien pu donc provoquer ce déclic pour le moins subit qui ne figurait pas objectivement dans l'agenda officiel de la diplomatie algérienne, quand on sait que l'Algérie a conditionné toute reconnaissance du CNT – car c'est bien de cela qu'il s'agit quand M. Medelci parle de contacts officiels entre l'Algérie et le CNT, il ne reste plus qu'à mettre en place le cadre institutionnel de cette reconnaissance- à la mise en place du nouveau gouvernement d'Union nationale libyen qui tarde à voir le jour ? Après la reconnaissance du CNT par l'ONU, puis par la Ligue arabe et l'Union africaine, laquelle n'a pas eu plus de succès dans ses efforts pour sceller la réconciliation entre la rébellion et le régime d'El Gueddafi, après également la reconnaissance par le dernier carré des pays africains qui étaient sur la même ligne que l'Algérie, à l'instar de l'Afrique du Sud, la position officielle de notre pays apparaissait plus que jamais marginale, désespérément solitaire dans le concert des nations. M. Medelci a beau essayer de se donner bonne conscience en soulignant que les dirigeants du CNT ont fait montre d'une grande compréhension quant à la position de l'Algérie, nul doute que la gestion de ce conflit par l'Algérie laissera des traces dans les relations avec les nouvelles autorités libyennes qu'il sera difficile d'effacer et dont on aura immanquablement à payer le prix. Rétablir la confiance avec les nouvelles autorités libyennes, mais aussi avec le peuple libyen, notamment avec les franges de la population qui se sont démarquées du régime d'El Gueddafi dès le déclenchement de la révolution, lesquelles découvraient, abasourdies et révoltées, que l'Algérie complotait contre leur révolution, selon les déclarations et accusations des dirigeants du CNT : c'est là le plus grand défi qui se pose aux autorités algériennes. Une chose est sûre : même si historiquement et géostratégiquement les deux pays sont condamnés à coopérer, la normalisation ne sera pas pour demain. Nos voisins tunisiens et marocains, qui ont reconnu le CNT lorsque ce Conseil avait tant besoin des soutiens extérieurs pour légitimer la révolution, se sont assuré une place au soleil dans la Libye de l'après El Gueddafi. De grandes nations, comme la Chine et l'URSS, n'ont pas hésité à se repositionner sur le conflit libyen compte tenu de leurs intérêts et des nouvelles données géopolitiques et militaires sur le terrain. L'Algérie est restée de bout en bout figée sur ses positions. Il est connu que nos dirigeants ne se déjugent jamais, même si on s'achemine droit vers le mur. Une autre constante nationale à ajouter aux autres spécificités bien algériennes. Le pouvoir algérien a-t-il péché par absence de clairvoyance politique dans l'appréciation de certains dossiers régionaux qui ont amené le pays à subir, passivement, les événements, alors qu'il est supposé jouer un rôle pivot sur certaines questions qui nous touchent de près, comme c'est le cas des révolutions arabes en Tunisie, Egypte, Libye, Syrie…. ? Maintenant que le spectre d'El Gueddafi ne hante plus nos dirigeants après l'annonce de son décès, hier, l'Algérie se fera-t-elle violence pour reconnaître officiellement le CNT ? Gageons que cette gifle cinglante que vient de recevoir, en plein dans la tronche, la diplomatie algérienne sera méditée et que les enseignements utiles soient tirés pour une refondation de la diplomatie algérienne. L'action diplomatique algérienne est-elle au service du pouvoir ou de l'Etat ?