Le premier test démocratique tunisien est diversement apprécié par les Tunisiens. Si certains ont la gueule de bois après s'être enivrés de l'espoir de vivre dans un pays libre et laïque, tous se disent prêts à accepter le verdict des urnes, quel qu'il soit. Les blogueurs tunisiens, artisans de la Révolution du jasmin, tentent une explication à la victoire annoncée du parti islamiste Ennahda. «Coupée de la réalité du terrain puisque que je vis en grande partie à Tunis, j'ai vu avec effarement mes proches voter Ennahdha. Je leur ai demandé pourquoi ? Ils m'ont dit que c'est le seul parti qu'ils connaissent avec le Congrès pour la République (CPR)», souligne ainsi Jolanare, blogueuse depuis 2007. Pour elle, la division des partis dits laïcs et progressistes est à l'origine de leur débâcle. Elle décrit la Tunisie comme un pays qui «se cherche encore et qui croit se retrouver dans un repli identitaire islamique qui apparaît comme une réaction à la souffrance et aux exactions commises des années durant par l'Occident». La blogueuse prévient contre toute stigmatisation émanant de l'Occident : «Qu'on ne vienne pas nous faire la morale aujourd'hui en Tunisie quand l'OTAN et la France ont ouvert à nos portes le péril islamiste le plus dangereux qui soit», dit-elle en faisant référence à la situation en Libye. Pour autant, les blogueurs refusent de céder à la panique. Expliquant que le mode de répartition des sièges au sein de la Constituante est fait de telle sorte qu'il ne peut y avoir de parti majoritaire grâce à la proportionnelle, ils soulignent qu'Ennahda a sa place sur l'échiquier politique tant qu'il respecte les règles de la démocratie. «Respectons le vote de chacun et ne cédons pas à la psychose. La Tunisie a réussi avec brio ses premières élections. La démocratie, c'est aussi accepter que l'autre gagne. Le peuple a voté, ainsi soit-il…», dit encore Jolanare. Optimistes malgré tout Un autre blogueur donne sa définition de la démocratie : accepter les résultats du scrutin et les comprendre. «Ce sont avant tout les perdants qui doivent donner l'exemple démocrate en acceptant le scrutin. Il faut chercher les fautes qu'ils ont commises et elles sont nombreuses», écrit-il. Les blogueurs tunisiens restent optimistes malgré tout ; ils accueillent la victoire d'Ennahda avec un certain fair-play : «Il faut comprendre que les jeux ne sont pas encore faits. Il reste beaucoup à faire. Le gagnant d'aujourd'hui peut perdre demain et le perdant du 23 peut gagner la prochaine fois…» D'autres, en revanche, ne cachent pas leur déception, sans cependant céder au défaitisme : «Comme beaucoup, je suis triste que notre pays ait choisi la main qui tenait un bâton. C'est un peu bête, mais on ne change pas un peuple abruti par 23 ans de dictature en quelques mois. J'y ai cru mais aujourd'hui, je sais que la tâche sera difficile», écrit un Tunisien qui estime avoir appris la première leçon de la démocratie : «Accepter la défaite mais ne pas baisser les bras.» Et puis, il y a ceux qui ne trouvent pas de mots assez durs pour exprimer leur désarroi : «Après les ripoux, on a droit aux ignorants», écrit un tunisien sur le blog «De quoi j'me mêle», précisant que «le peuple s'est autosanctionné démocratiquement». Comparant la Tunisie à une jolie fille fraîchement pubère, qui découvre son corps au soir du 23 octobre 2011, un blogueur tunisien, juriste de formation, appelle ses concitoyens à analyser les résultats. «Les urnes ont montré que le peuple n'était pas forcément celui visible sur internet ou sur les plateaux télévisés, il faut préparer dès maintenant les législatives, et ne pas jouer aux pyromanes et diviser le peuple…» Au lendemain d'une élection historique, les Tunisiens sont groggy mais tentent de garder le cap pour mener leur pays à bon port.