En face d'une œuvre d'art, il importe de se taire comme en présence d'un prince : attendre de savoir s'il faut parler et ce qu'il faut dire, et ne jamais prendre la parole le premier. Faute de quoi, on risquerait fort de n'entendre que sa propre voix», disait Arthur Shopenhaurer. Une citation on ne peut plus pertinente lorsqu'on se donne la peine de vérifier le nombre d'artistes affirmés ou en herbe dont les compositions ne laissent guère insensibles, mais qui demeurent méconnus du grand public. C'est le cas du sculpteur, restaurateur et architecte décorateur Mustapha Adane qui évolue dans son atelier, sis au lieudit le Calvaire (Kouba), un espace artistique qui a servi dans le passé au sculpteur et graveur Paul Belmondo (père du comédien Jean-Paul) et à son pair, le sculpteur natif d'Alger, André Greck, dont certaines de ses œuvres meublent des musées et monuments à Alger, Constantine et Oran. Se voulant discret et circonspect, Adane n'agit que par force conviction. «Je ne veux pas parler de moi, mais de l'histoire de l'art», lance le plasticien qui, après avoir fait des études de formation graphiste à Leipzig en 1960, continue, en dépit de la charge des ans, à se frotter à sa passion de sculpture sur différents supports. Témoin les géantes compositions de gravure qui renseignent sur sa vision de voir les choses, livrent ses émotions et surtout sa façon de faire sentir le ‘‘désordre'' de l'œuvre au visiteur. Des œuvres bavardes, posées en fatras ou accrochées aux cimaises, suscitent le dialogue pressant. Elles confèrent au lieu cette atmosphère de sacralité, voire une énigme où l'art plastique se dispute à l'art appliqué et au doigté artisanal. Rien ne bouge, mais tout en même temps se meut dans le spatio-temporel. Après avoir conçu la décoration au Sénat et habillé des pans d'édifices officiels de fresques sculpturales, Adane continue, à pas feutrés, à prospecter d'autres matériaux et un autre design pour enrichir sa voie royale de la sculpture. L'histoire de l'art algérien est aussi vaste que le pays et fourmille de talents. Mais nous détectons ce pincement au cœur et ce suspect vague à l'âme chez Adane qui réclame la ‘‘multitidentité'' de l'Algérie «au passé prestigieux que nos enfants ignorent», dit-il... Cette âme endolorie de l'ex-bozariste, supportant mal le calvaire qu'elle endure, notamment par la disgrâce qu'ont réussi à coller des ‘‘maîtres penseurs'' à l'amirauté d'Alger. Voire à la baie d'Alger.