Au croisement de deux revendications, le pain et la justice, Tindouf, 30 000 habitants, à 2000 km au sud-ouest d'Alger - une des villes les plus militarisées du territoire à cause de sa proximité des frontières avec le Maroc - a connu, depuis mercredi 18 janvier, une série d'émeutes et un nombre indéfini d'interpellations touchant en majorité des jeunes. Mercredi 18 janvier, à 11h30, le tribunal de Tindouf rend son verdict concernant la quatrième affaire inscrite. La direction de la jeunesse et des sports (DJS) contre Kamel Haouach, 34 ans, propriétaire de boulangerie, accusé d'avoir tabassé Slimani Hocine, 51 ans, agent de sécurité de la salle omnisports de Tindouf, dans la nuit du 24 décembre 2005. « Hocine, cette nuit, a surpris Kamel et un autre homme dénommé Farès, un employé du restaurent-bar, en train de pisser contre le mur de la salle. » Il était 11h du soir. Vous comprenez qu'il ne pouvait pas ne pas intervenir », raconte S. D., un proche de Hocine qui a requis l'anonymat. « Ils lui sont tombés dessus alors qu'un troisième était resté dans le 4x4 qui transportait le groupe. Ils étaient ivres. Hocine a dû se traîner jusqu'à chez lui et n'est arrivé qu'aux environs de 2h du matin », poursuit S. D. Hocine s'en sort avec 15 jours d'arrêt de travail, plusieurs côtes cassées, un visage tuméfié et une dignité blessée. Hocine a pu identifier ses deux agresseurs. La police interpelle, le 25 décembre, Kamel qui aurait, selon des sources locales, des antécédents judiciaires. Le procès-verbal est établi, même si le présumé agresseur continue de nier les faits. La date du procès est fixée pour le 18 janvier. « L'agresseur a demandé une conciliation. Nous avons dit qu'il devait demander pardon d'abord et avouer ensuite devant la justice ; ce qu'il a refusé », indique S. D. Impossible, hier, de contacter l'autre partie. Le jour du procès, après avoir traité les trois affaires inscrites, le juge voit débouler dans la salle d'audience une foule nombreuse à l'entame de l'affaire de l'agression de la nuit du 24 décembre. « La famille Slimani est connue et respectée à Tindouf. Hocine a une réputation sans tache ici. Les gens étaient remontés », dit le proche de l'agent de sécurité agressé. La sentence est rendue : un mois de prison ferme et 5000 DA d'amende. Colère de l'assistance. « Et en plus, il y a eu requalification du délit en simple infraction. Inadmissible ! », tonne l'avocat de la DJS. « S'est produit alors une sorte de mélange explosif, entre la colère des gens et leur certitude que la consommation d'alcool est la source du mal. Car même si la décision de justice ne vous plaît pas, il existe des voies de recours », témoigne le chef de cabinet de la wilaya de Tindouf. La foule s'est tout de suite déplacée vers le siège de l'APC pour réclamer la destruction de l'unique restaurant - seul restaurant-bar de la ville à la sortie ouest de Tindouf, ouvert depuis deux mois. « Il est vrai que l'APC avait pour projet de lancer un décret de démolition de la clôture protégeant l'établissement. Elle était érigée sur un périmètre que ne possédait pas le patron du restaurant-bar. Mais la décision a traîné. Sous la pression de la foule, le maire a décidé de détruire illico presto la clôture », souligne-t-on à la wilaya. « Il y a deux mois, nous avons interpellé le chef de cabinet lors d'une session de l'APW pour savoir s'il ne s'agissait pas d'un grossier dépôt d'alcool illicite ; on nous a répondu que l'établissement était un restaurant-bar en règle », indique Ayad, élu FLN à l'APC. L'après-midi même du 18 janvier, l'Assemblée communale tient une session extraordinaire condamnant l'agression d'un agent de la fonction publique et demandant l'annulation du permis de construire. « Document pourtant en règle », indique-t-on à la wilaya. Les choses se précipitent. Un bulldozer, suivi par une foule en colère, entame la destruction, à 16h, de ladite clôture. « Mais les gens étaient trop en rogne. Ils ont saccagé le restaurant-bar, et c'est de là que tout s'est embrasé », regrette S. D. « La décision de destruction de la clôture était destinée à calmer la population », ajoute un habitant de Tindouf dont le souci, dit-il, est « l'embrasement général d'une ville dont le moindre mouvement est observé par le voisin marocain ». Le journal télévisé de la chaîne marocaine Al Maghribiya du 18 janvier évoque, en effet, « des affrontements entre la population de Tindouf et des forces de l'ordre suite à la politique du pouvoir central d'Alger ». « C'est grave qu'on en soit arrivé là. Tindouf est une position stratégique. Ici, on a l'ONU, les camps de réfugiés sahraouis, notre armée. Rien ne doit justifier un tel précédent », appuie un proche de Hocine, l'agent agressé. « Cumul d'injustices » Du 18 janvier à hier, des accrochages sporadiques entre jeunes émeutiers et des éléments antiémeutes venus de Béchar et Saïda, notamment, meublent les nuits de Tindouf. Lampadaires et enseignes caillassés, pneus brûlés, routes coupées par des amas de pierres. La boulangerie de Kamel Haouech a également été saccagée, ainsi que certains dépôts d'alcool clandestins. « Mon fils a 20 ans et il est au commissariat central depuis mercredi (18 janvier). Il n'a rien fait et a été arrêté la nuit. Chaque après-midi, je lui ramène à manger », déclare une femme en abaya orange habitant le quartier qui connaît le plus d'affrontements, la cité Annasr. « Le jugement rendu dans l'affaire de Hocine Slimani a été la goutte qui a fait déborder le vase. Il y a eu à Tindouf un cumul d'injustices et de précarités. Beaucoup de chômage. Et la patience des jeunes surtout a des limites », estime une élue FLN de l'APC. Des habitants du centre-ville nous montrent des photographies de jeunes au visage tuméfié, bandages autour de la tête. « Les policiers venus des autres wilayas ne connaissent pas la ville et ses habitants. Toute personne portant un chèche est candidat à la matraque », disent-ils. A l'hôpital mixte de Tindouf (militaire et civil), le colonel-directeur affirme qu'il n'a enregistré aucune hospitalisation et s'excuse de ne pouvoir donner le chiffre des blessés. Hier, la situation semblait calme. Des élus locaux ont fait circuler un document chargeant le wali, l'accusant de fermer les portes à la société civile et exigeant une commission d'enquête du ministère de la Justice autour de l'affaire de l'agression et du restaurant-bar. « Ce document n'est pas signé, je le considère comme non existant », affirme le chef de cabinet de la wilaya. « Nous introduirons un appel dans les prochains jours », indique l'avocat de la DJS. « Avant-hier, l'agresseur a demandé pardon à Hocine devant les chefs des tribus. Nous avons accepté à condition qu'il se repente devant la justice. Nous attendons toujours », informe un membre de la famille Slimani. « Avec ou sans restaurant-bar, il y aura toujours de l'alcool en circulation à Tindouf et toujours autant de mal-vivre », atteste un exploitant agricole local qui peine à faire démarrer son affaire dans les environs de la ville-garnison. « Il y a trop de fer dans l'eau », laisse-t-il suspendu en cours de conversation. Une sentence qui s'applique à l'air tendu de l'ex-ville du Mouggar, le festival commercial de Tindouf interrompu depuis 1975. Date du conflit sahraoui.