Quand les corps deviennent les supports de l'expression artistique dans tous ses registres. Cuerpo habitado, hombre tranquilo (Corps habité, homme tranquille). Ces deux poèmes composés d' Antonio Gamoneada et Ángel González servent de jardin pour le chorégraphe espagnol Juan Antonio Saorin pour composer un spectacle de danse d'une rare perfection. Spectacle présenté par sa compagnie, Saorin en Danza, mardi 22 novembre, au palais de la culture Moufdi Zakaria à la faveur de la troisième édition du Festival culturel international de danse contemporaine d'Alger. Sur scène, les quatre danseurs Sara Martinez, Noélia Planes, Sergio Martinez et Jorgé Sésé sont allongés collés les uns aux autres. Une lumière crue met en valeur leurs mouvements : une contorsion sensuelle des mains réunis comme un petit flambeau. La danse est horizontale. Un fado sombre rappelant les soirées hivernales de Lisbonne entretient l'atmosphère. Les corps se séparent graduellement pour dialoguer en verticale puis en circulaire. La géométrie est sollicitée pour accentuer l'expression corporelle. Accompagné d'un jazz urbain, les danseurs, torse nu, entrent en conversation, se disputent, se réconcilient… L'amitié au masculin est là avec ses contradictions et ses fantasmes. Les danseuses ne sortent de leur douceur que pour s'interroger, le regard tantôt inquiet tantôt apaisé, sur l'amour, l'amour de l'autre… Celui de cet homme pressé en quête de tranquillité et - peut être - d'autres sensations. La voix de Nina Simon, la princesse noire, couvre tout ce petit monde tourmenté par une vague suave. «Quand j'ai lu le poème d'Antonio Gamoneada, quelque chose a bougé en moi», nous a confié Juan Antonio Saorin. Le chorégraphe ne cache pas son admiration pour le film de John Ford, L'homme tranquille. Sorti en 1952, ce long métrage, qui raconte une histoire d'amour sur fond de rivalités irlandaises, a eu un grand succès auprès du public. Le spectacle de danse, qui existe en deux versions, a été présenté en Italie, en Ecosse et au Portugal. «Ce qui m'a le plus plu dans le poème de Gamoneada est l'évocation de l'amour et de l'amitié», a expliqué le chorégraphe. La philosophie d'Antonio Gamoneada est simple : lorsque le corps est habité par l'amour, l'homme devient tranquille, zen, assuré… En dépit de lourdes tenues traditionnelles, les danseuses et danseurs de l'ensemble Shilpadhipathi du Sri Lanka ont fait montre d'une incroyable agilité. Accompagnés de percussions, dont les fameux Thammatama, Daula et Udakkiya, et parfois de flûte, les artistes ont offert au nombreux public du Palais de la culture une palette colorée du folklore ce pays asiatique. Les danses sont parfois traditionnelles. Elles ressemblent à celle de Thaïlande, d'Indonésie, de Chine, d'Inde, du Népal et même de Corée du Sud. La vaste et riche culture asiatique a plusieurs chemins communs. Le contemporain est mêlé sans encombre au populaire. Pas de complexe ni d'académisme étroit. On n'hésite pas à recourir aux acrobaties de cirque et à la gymnastique artistique. Les salto, les doubles salto, les rondades, les roulades sont exécutés avec une telle souplesse ! On danse pieds et poings liés, les yeux bandés ! Une prouesse. L'essentiel n'est-il pas d'offrir du spectacle ? Pas de problème : les musiciens se mêlent aux danseurs et les danseurs prennent les instruments et commencent à jouer. Mieux : l'un d'eux fixe le udakkiya à son ventre et exécute de périlleuses acrobaties dansantes. Faits de bois, de cordes et de peaux, les instruments sont le prolongement de matières vivantes, d'où cette fusion presque parfaite entre corps humains et percussions. On danse sans avoir le tournis… Se peut-il que la lune, qui étale ses beautés chaque soir sur les eaux tristes du lac, tombe sous le charme d'un cerf ? Le Mexicain Alfonso Alcaraz, directeur artistique du groupe de danse folklorique et contemporaine Tierra Mestiza, croit que la création scénique n'a pas de limite. Il suffit de faire appel à l'imagination, au rêve, à la folie créative et à la sensibilité artistique. Les tableaux, présentés au public mercredi 23 novembre au soir, sont peints en noir et blanc, les couleurs du paradoxe et de la différence. Pas de gris. Donc, pas d'hésitation. Le parti pris esthétique est assumé. La lune et le cerf tentent l'impossible. Pour le cerf, le ciel n'est jamais loin. Et pour la lune, le destin terrien est séduisant. Comme dans un songe de nuit d'été, le cerf, toujours fier, pense que l'amour de la lune lui fera oublier la solitude de la forêt. Une forêt qui cache souvent de tendres drames. La chorégraphie presque romantique d'Alfonso Alcaraz est tout en symbole, d'expression universelle incroyablement contemporaine. Le deuxième tableau du spectacle est d'une perfection mathématique. Le danseur discute avec une corde accrochée au plafond. Sa performance, qui ressemble à un numéro aérien de trapèze, est intense. Tous les membres du corps sont sollicités, pieds, mains, tors, cou… Tout cela pour souligner le combat émancipateur du Mexicain le plus célèbre au monde. «Cette chorégraphie est une manière pour moi d'évoquer et de rappeler la grande révolution de Zapata. Zapata est le symbole de la liberté. C'était un héros pour les gens pauvres. Il leur a permis de reprendre leurs terres…», nous a expliqué Alfonso Alcaraz. Il est étonné de découvrir que les Algériens connaissent bien Emiliano Zapata, l'homme qui, en 1910, devait mener l'insurrection contre le dictateur José Portirio Diaz qui avait dirigé le Mexique pendant 30 ans. En quittant le pouvoir, grâce notamment au soulèvement dirigé par Zapata, cet ancien chef militaire a provoqué la guerre civile dans son pays, comme tous les tyrans ! (La Libye est le dernier exemple en date). Carolina Ordaz, manager de Tierra Mestiza, a, pour sa part, révélé que sa compagnie visite pour la première fois le continent africain, après une tournée en Europe. Les B-boys de Kamikaz Crew, un groupe de break dance, ont joint leurs efforts aux filles de l'atelier de danse de la maison de la culture de Tizi Ouzou pour montrer un spectacle particulier. Un risque assumé. Le titre aussi Paradoxe et séduction. La performance a été présentée mercredi 23 novembre au soir. Le spectacle commence par une danse classique ordinaire exécutée par des filles sages ! Le rythme change, la musique actuelle remplace les notes classiques. Les breakers entrent en scène en faisant dans la provoc'. Cela donne une autre fraîcheur au spectacle. Une petite rivalité filles-garçons s'installe. Chacun défend son territoire. Perfectible, l'expression corporelle est plurielle, inévitablement urbaine. On se moque même des cours de danse en représentant les barres des salles. Un clin d'œil, peut être, à Fame, la célèbre série des «eighties» sur une école de danse new yorkaise. «Mêler le classique au hip-hop n'est pas toujours facile. Il fallait faire cohabiter deux mondes différents, mais c'était le but de notre chorégraphie. C'est-à-dire montrer que malgré les différences, on peut cohabiter, il y a une séduction entre les deux mondes», nous a confié Sarah Bouzar, responsable du groupe, qui pratique la danse depuis l'âge de 5 ans. «C'est un travail de trois mois. On répétait tous les week-ends. Ces derniers quinze jours, on travaillait tous les jours jusqu'à 21 heures. Cela nous a fait un grand plaisir de voir le public nous applaudir et accepter notre spectacle», a-t-elle ajouté. Le groupe était présent lors de la précédente édition du Festival international de danse contemporaine d'Alger. «On s'est mieux préparé et on est revenu !», nous a dit avec assurance Amar Boudjemaï, breaker. Composé de neuf membres, Kamikaz Crew existe depuis 2007 et a été, à deux reprises, champion d'Algérie. Ghiles, Hamza, Omarou, Wissem, Nassim, Yacine, Youcef, Amar et les autres pratiquent ensemble le break dance, très populaire en Kabylie et dans les grandes villes du pays. Bab El Oued à Alger est l'une des plaques tournantes de cette danse urbaine. Les «descendants» algériens de Kool Herc, Dj new-yorkais, père du mouvement hip-hop, sentent le vent tourner. Ils guettent la fêlure dans le mur pour «tout» défoncer… artistiquement parlant. «Nous avons une longue histoire avec le break dance. Nous étions dans la rue. Avec le temps, nous avons pu avoir des salles pour répéter. Nous avons amélioré notre niveau. Moi-même j'ai participé à des battles en Belgique, en France et aux Pays-Bas», a souligné Amar Boudjemaï.