Attendu depuis longtemps par la corporation, le projet de loi organique relative à l'information a été enfin présenté, hier, à l'Assemblée populaire nationale (APN), par le ministre de la Communication, Nacer Mehal. Articulé autour de 132 articles, ce nouveau cadre juridique conçu «pour fixer les règles et les principes de l'exercice du droit à l'information» intervient surtout pour corriger les «dérives» de la loi 90-07 du 3 avril 1990 qui avait été qualifiée par les journalistes de «code pénal bis» au moment de sa promulgation. Grosso modo, les deux grandes nouveautés apportées par le législateur consistent en l'ouverture du champ de l'audiovisuel au privé et en la suppression des peines privatives de liberté des dispositions prévues pour sanctionner ce que les professionnels des médias appellent les délits de presse. Théoriquement donc, un journaliste ne devrait plus se retrouver en prison à cause d'un écrit. Néanmoins, il reste encore à savoir ce qu'il pourrait advenir d'un contrevenant à la loi dans le cas, par exemple, où il ne pourrait pas s'acquitter du montant d'une amende. Si l'on peut effectivement se réjouir du fait que le journaliste ne sera plus perçu à l'avenir par la justice comme un vulgaire malfrat, il n'est toutefois pas certain que le projet de loi organique relative à l'information, tel que proposé par Nacer Mehal, contribuera véritablement à faciliter le travail des journalistes ou, encore, à consacrer dans les faits le droit à l'accès à l'information. En dehors de rappeler «l'engagement du gouvernement à respecter toutes les libertés et à leur tête la liberté d'expression dans le cadre des lois de la République» et de lâcher quelques déclarations de bonnes intentions, le ministre de la Communication n'a prévu effectivement dans son projet qu'un tout petit article (l'article 80) dans lequel il reconnaît vaguement aux journalistes le droit d'accès aux sources d'information. Assorti de pas moins de 5 exceptions, cet article n'oblige pratiquement aucune institution de la République à «communiquer» avec la presse et encore moins à mettre à la disposition du public les informations qu'elle a en sa possession, comme cela se fait déjà depuis longtemps dans plusieurs pays. Les lignes rouges à ne pas dépasser La méfiance entourant le projet de loi organique relative à l'information est confortée par le fait que le législateur n'a également pas pensé une seconde à mettre en place un mécanisme de veille qui aurait justement pour tâche de s'assurer que le droit à l'accès à l'information (droit, du reste, reconnu par la Loi fondamentale) est effectif. Sous le prétexte, par exemple, que l'information demandée est «sensible» ou qu'elle est susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale, n'importe quel attaché de presse d'un ministère peut s'arroger le droit d'envoyer paître un journaliste ou tout simplement de faire dans la rétention d'information. Dans un pays comme l'Algérie, où la culture du secret a eu le temps de devenir une seconde nature, il est aisé de s'attendre à ce que l'on continue encore longtemps à dissimuler les informations les plus insignifiantes. Pour s'en convaincre, il n'y a d'ailleurs qu'à rappeler que le gouvernement ainsi que de nombreuses autres institutions n'ont toujours pas de porte-parole. En tout cas, les exemples d'atteintes au droit à l'accès à l'information ne manquent pas. Et toutes ces cachotteries se font, bien entendu, en violation d'importants textes signés par l'Algérie, comme la Charte universelle des droits de l'homme (article 19), la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (article 9), la Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (article 9) et la Déclaration de principe sur la liberté d'expression en Afrique (article IV) adoptée par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples en octobre 2002. En tout état de cause et en l'absence de recours sérieux, les journalistes doivent s'attendre à ce que leur tâche soit rendue, à l'avenir, beaucoup plus difficile si ce fameux projet de loi parvient à quitter le Parlement dans sa mouture initiale. Pis encore, les nombreuses lignes rouges qui seront appelées à encadrer la pratique journalistique en Algérie auront pour effet immédiat d'assurer l'impunité à de nombreux responsables et d'empêcher les journalistes de fourrer leur nez dans des dossiers dits sensibles (politiques y compris) ou de traiter de questions de fond comme celles liées à la corruption, au respect des droits de l'homme, à la sécurité et à la gestion des affaires publiques. Au bout du compte, le risque est grand de voir la presse devenir, au fil des temps, une simple caisse de résonance des discours du pouvoir en place. Et le constat vaut même si le ministre de la Communication passe son temps à affirmer le contraire.