Est-ce le nouvel ordre islamiste en Egypte ? Les tendances de la première phase des élections législatives confirment le virage islamiste. La vague verte déferle sur les neuf gouvernorats où le vote a eu lieu. Prévisible pour certains, inquiétant pour d'autres. Au siège du Parti de la liberté et de la justice, la joie est à son comble. Sous les cris «Allah ou akbar» (Dieu est grand), les militants massés devant le quartier général du parti au Caire célèbrent une victoire qu'ils espèrent depuis quatre-vingt ans. «C'est la volonté de Dieu qui a triomphé aujourd'hui», tonne un leader du parti. La place Tahrir est en berne. Dans ce lieu emblématique de la révolution, où les irréductibles révolutionnaires prennent toujours possession des lieux, l'ambiance est plutôt morne. «J'ai bien peur que nos rêves se brisent avec la victoire des Frères musulmans et des salafistes. Tant de sacrifices pour voir des forces réactionnaires arriver en tête des premières élections démocratiques», lâche Ayman du Mouvement du 6 avril, sans se résigner. «Nous allons poursuivre notre révolution, même si nous nous soumettons au verdict des urnes. Cela dit, nous n'accepteront pas la dictature», a-t-il clamé. Pendant que ces «deux Egypte» se regardent avec méfiance, les résultats préliminaires confirment l'arrivée en tête des islamistes (Frères musulmans et salafistes de Hizb Al Nour) dans plusieurs gouvernorats. Le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), bras politique des Frères musulmans, devancerait dans la plupart des circonscriptions, notamment dans les gouvernorats du Caire, de Fayoum, de la Mer Rouge et d'Assiout (Sud). Il est suivi de la formation salafiste, Hizb Al Nour, et du parti Les Egyptiens libres. Le bras politique des Frères musulmans, le PLJ, dans un communiqué, déclare : «Les premiers résultats obtenus depuis le début du dépouillement montrent que les listes du Parti de la liberté et de la justice arrivent en tête, suivies du parti Al Nour et du Bloc égyptien.» Il affirme également avoir obtenu les meilleurs scores à Fayoum, à la Mer Rouge, au Caire et à Assiout. La concurrence est rude entre les Frères musulmans et le parti salafiste à Alexandrie. C'est la grande surprise de cette première phase des législatives qui se dérouleront en trois temps. Le parti de l'homme d'affaires Naguib Sawirris, les Egyptiens libres, s'accroche et fait des scores qui peuvent le donner comme troisième force politique du pays. Dans une conférence de presse, ce parti a dénoncé «l'utilisation de la religion par les Frères musulmans et les salafistes et l'exploitation de la misère des gens en leur donnant carrément de l'argent. Des pratiques qui rappellent celles du parti dissous (le PND de Moubarak)», a indiqué Hany Serry, membre du bureau politique des Egyptiens libres, dans une conférence de presse, hier. De son côté, Mohamed El Baradei s'est félicité «du bon déroulement des élections et de la participation massive des Egyptiens, que l'on doit aux martyrs de la révolution», a-t-il déclaré. Par ailleurs, le prix Nobel de la paix et potentiel candidat à l'élection présidentielle a rappelé, dans un communiqué, la nécessité de respecter «les revendications de la révolution, la construction d'un Etat civil qui consacre les libertés et la justice sociale». Ainsi et en attente de l'annonce officielle des résultats définitifs des candidats libres, demain soir, les dix-huit millions d'Egyptiens, qui se sont exprimés à l'occasion de cette première étape d'un long processus électoral, marquent le tournant islamiste de l'Egypte post-Moubarak. Selon des observateurs, les vingt-cinq millions d'Egyptiens, qui voteront lors des deux prochaines étapes, confirmeront, dans une certaine mesure, cette tendance. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige le pays depuis la chute de Moubarak, n'a pas encore réagi, il s'est réuni avec des nombreuses personnalités et autres dirigeants politiques représentant les différents partis pour débattre d'une éventuelle mise en place d'un Conseil consultatif qui pourrait venir en aide au CSFA. Mohamed El Baradei a boycotté cette réunion.