Le ministère public a requis, hier, 20 ans de prison ferme à l'encontre de Omar Dechmi, patron de la CA Bank, pour avoir accordé des cautions sans garanties bancaires et gelé les fonds d'une société chinoise. Le patron de la Compagnie algérienne de banque (CA Bank) Omar Dechmi et son directeur général pour l'agence de Hydra, M. Boudamous, détenus depuis près d'une année, ont comparu hier devant le tribunal criminel d'Alger pour avoir enfreint « les dispositions de la loi sur le crédit et la monnaie ainsi que l'ordonnance de contrôle des changes et du mouvement de capitaux ». La banque privée avait libéré des cautions d'un montant de 1,365 milliards de dinars pour une société chinoise chargée de la réalisation de logements au profit de l'AADL, sans la garantie d'une banque étrangère, et gelé par la suite les comptes de cette même société, paralysant ainsi toutes ses activités et la réalisation de 3500 logements de l'AADL. Appelé à la barre, le directeur général de l'agence CA Bank de Hydra, émettrice des cautions bancaires, a affirmé avoir accordé et signé ces cautions, sur instruction de son président- directeur général, Omar Dechmi, lequel a déclaré ne pas se rappeler avoir donné l'ordre. L'accusé, visiblement mal en point, a demandé quelques minutes de suspension du procès pour reprendre son souffle. Il n'a rien apporté de nouveau. Il n'a fait que renvoyer la balle vers son premier responsable. Omar Dechmi a, pour sa part, tenté d'expliquer qu'il a été « victime de l'escroquerie » de la société chinoise, COCPC, qui a refusé de garantir les cautions, devant servir pour la libération des avances par l'AADL. « Ce sont de gros clients. Lorsqu'ils m'ont demandé de leur accorder les 25 cautions, je leur ai exigé la contre-garantie par une banque mère, étrangère. Ils ont accepté et l'ont fait pour les 15 premières cautions. Pour les dix autres, ils ne faisaient que retarder. Je les ai mis devant leurs responsabilités et les écrits que je leur faisais pour les sommer de garantir les cautions restaient sans suite. J'ai pris la décision de geler leurs comptes, tels que le prévoit la loi. Ils ont saisi le juge des référés, qui s'est déclaré incompétent. Ils ont alors déposé plainte au niveau du pénal (...). Le Trésor public n'a pas eu de préjudice à partir du moment où l'AADL a récupéré son argent. » Une remarque qui a poussé le juge à lancer : « Ne savez-vous pas que c'est une affaire qui a provoqué presque un incident diplomatique entre l'Algérie et la Chine et se discutait même entre les Etats, de même qu'elle a été la cause de la révocation du premier responsable de l'AADL ? » Dechmi est pris d'un malaise. Après quelques minutes de repos, le juge a poursuivi le jeu des questions-réponses, avant d'appeler à la barre le représentant de la Banque d'Algérie en tant que témoin. « Pour que l'AADL puisse avancer une partie des montants servant au début d'exécution du marché, il fallait la contre-garantie bancaire. C'est la loi qui le prévoit », a-t-il expliqué. « Quelle est l'infraction selon vous ? » D'abord, « le non-respect de l'ordonnance relative au contrôle des changes à travers l'absence de contre-garantie. La banque a également opéré des saisies arrêts sur un montant de 35 milliards de dinars contenu dans les comptes de la société chinoise, sans justification, puis infraction régissant les opérations de garanties étrangères », a- t-il répondu. « Préjudice » A la question de savoir pourquoi la Banque d'Algérie s'est constituée partie civile dans cette affaire, le témoin a déclaré : « Il y a eu préjudice parce que les règles prudentielles n'ont pas été respectées. » Est-ce que cet argent a été transféré vers l'étranger ? « C'est possible. Souvent, les fonds qui devaient partir vers une destination donnée se retrouvent ailleurs. Nous avons eu des cas pareils », a expliqué le témoin. Les questions sont devenues de plus en plus serrées, au point où le témoin s'est presque transformé en accusé. « Ici, je ne vois que le patron de la CA Bank. Pourtant, dans vos rapports, vous accusez tous ceux que l'enquête dévoilera sans les nommer. Pourquoi n'avez-vous pas situé les responsabilités de chacun pour que tous ceux impliqués soient aujourd'hui dans le box des accusés ? », a demandé le juge. Le témoin a noté que les enquêtes menées par l'inspection de la Banque d'Algérie ne font que constater les infractions. C'est aux autres structures de définir les responsabilités. « Mais alors, comment contrôlez-vous les banques lorsqu'il y a des détournements de centaines de milliards ? Vous accusez uniquement le premier responsable et c'est fini ? » Le témoin a précisé que c'est le décret exécutif ayant suivi l'ordonnance de 2003 qui a défini les responsabilités en matière de violation de cette loi. Le juge s'est retourné vers Dechmi. « Comment pouvez-vous garantir des cautions de 130 milliards de centimes, alors que le fonds propre de votre banque est de 70 milliards seulement ? » Dechmi a reconnu qu'il ne pouvait pas augmenter le capital de sa banque tout en précisant avoir les moyens de prendre en charge le montant des cautions. « Il ne s'agit pas de rembourser ou non. Il y a eu violation de la loi. De plus, vous savez que les cautions ont été prises. » L'avocat de la société chinoise (celle-ci était absente au procès) est revenu sur les circonstances du gel de ses comptes par la CA Bank, opération qui a engendré de graves problèmes avec les fournisseurs, mais également avec les salariés de l'entreprise. « Pas de transfert des montants » Le ministère public a axé son réquisitoire sur l'absence de contre-garantie et le gel des fonds de la société chinoise au point de compromettre le projet de la construction des logements de l'AADL, crimes pour lesquels il a requis 20 ans de prison ferme assortis de 3 milliards de dinars d'amende. La défense de Dechmi a, pour sa part, plaidé l'innocence, arguant du fait qu'il s'agit d'« une affaire bancaire qui aurait pu être réglée entre la Banque d'Algérie et la CA Bank, avec une sanction administrative comme le prévoit la loi ». Les avocats ont noté que l'ordonnance sur le contrôle des changes et les mouvements de capitaux ne s'applique pas à leur mandant du fait qu'il « n'y a jamais eu de transfert des montants de la caution vers l'étranger ». Pour eux, la sanction pénale n'a pas lieu d'être, car il n'y a eu ni dissipation, ni soustraction, ni détournement de fonds. Ils ont fait remarquer que la société chinoise « était venue en Algérie pour escroquer les gens, puisqu'elle est aujourd'hui inscrite sur la liste noire des entreprises. Elle fait dans le trafic de béton, elle ne déclare pas ses employés ou ne les paie pas. Elle n'a pas réalisé ses projets, à tel point où tous ses contrats ont été résiliés. Ce qui prouve sa mauvaise foi ». En fin de journée, après les plaidoiries, l'affaire a été mise en délibéré. A l'heure où nous mettons sous presse, le verdict n'a toujours pas été prononcé.