Tout le monde est démissionnaire, c'est la débandade, voire l'anarchie, la fierté d'une ville s'en va à tout vent. La place de l'Indépendance perd chaque jour de son éclat et c'est tout le monde qui participe à sa dégradation. Les immeubles crasseux qui l'entourent ont depuis longtemps épousé le gris du kiosque à musique, lequel est devenu une pissotière et un lieu où sont amassés détritus, morceaux de bois, haillons des SDF et matière fécale. Les bordures d'un semblant d'espace vert et d'un jet d'eau qui n'a jamais fonctionné, servent de sièges à des dizaines de personnes âgées et aux voyageurs en provenance des autres communes. L'après-midi, c'est un autre décor : des ballots de fripes sont déballés devant une clientèle en quête d'une bonne occasion pour satisfaire toute la famille avec une moindre dépense. Peu importe si la qualité de l'article laisse à désirer ou si son origine n'est pas connue. La nuit c'est aux groupes de marginaux, aux adeptes de Bacchus et aux agresseurs qu'on cède la place qui devient un lieu à haut risque. Des dizaines de voyageurs nocturnes et des personnes étrangères à la ville ont été délestés de leur argent et de leurs téléphones mobiles. Les rixes, les batailles rangées et les agressions à l'arme blanche y sont monnaie courante. Les deux lions, statues emblématiques de la ville qui ont défié pluie, grêle et fardeau des années, n'ont pas pu résister longtemps à cette nouvelle vague de gens peu soucieux du bien public, encore moins d'une œuvre d'art. On y a perforé le bronze au niveau du dos des deux chefs-d'œuvre.