Le fonds de la zakat a récolté plus de 100 milliards de centimes cette année, soit deux fois plus que le montant réalisé en 2006 et près de trois fois celui de l'année 2008, d'après les statistiques du ministère des Affaires religieuses et des Wakf. Une manne non négligeable, mais qui reste bien en dessous de ce qui devrait être, de l'avis de beaucoup d'observateurs. En effet, le nombre exact des millionnaires et de milliardaires est inconnu en Algérie, et pourtant les signes saillants de richesse, de type villas luxueuses et voiture onéreuse ne manquent pas. Ils semblent d'ailleurs parfaitement s'accommoder de la présence de plus en plus ostentatoire de la mendicité. Le ministre des Affaires religieuses, Bouabdallah Ghlamallah, qui avait, il n'y a pas si longtemps, affirmé que la pauvreté en Algérie était une pure invention de la presse, doit tout de même reconnaître le contraire. Pour zakat El Fitr, uniquement, ce sont près de 169 000 familles nécessiteuses qui ont en bénéficié. Entre 2003 - date à laquelle le fonds a été mis en place - et 2008, plus de 345 000 familles pauvres ont été concernées par cette zakat due à l'occasion de l'Aïd El Fitr. Autant dire que la demande existe bien, en revanche c'est au niveau de l'offre que le problème se pose. Volontairement ou pas, tous ceux qui ont l'obligation religieuse de verser l'autre forme de la zakat «zakat el mel», due annuellement à la période de l'Achoura, ne le font pas forcément. Dans le milieu des «grands riches algériens, ils seraient 20% à ne pas s'en acquitter, nous dit Fares Mesdour, spécialiste en économie islamique. Pour les moins riches, tous les moyens sont bons pour y échapper. Un mufti du ministère des Affaires religieuses a souligné sur les ondes de la Radio nationale que pour ne pas s'en acquitter, certaines personnes attendent l'approche de l'Achoura et «achètent des voitures neuves, par exemple». Cette zakat, faut-il le souligner, porte sur 2,5% de toute valeur ayant atteint un certain montant (le nissab) au terme d'une année, à savoir «l'argent, les offres commerciales et les marchandises évaluées au prix de vente actuel le jour de la zakat», précise le ministère des Affaires religieuses. Le seuil de cette année a été fixé à 467 500 DA. Pour s'en acquitter, les donateurs peuvent déposer l'argent de la zakat au niveau des mosquées ou le verser directement au niveau des comptes CCP ouverts au nom du fonds dans les différentes wilayas du pays. Quid de la zakat des 6000 milliardaires algériens Il y a «de gros donateurs, notamment les chefs d'entreprise qui passent par le fonds, mais il y en a également beaucoup qui versent la zakat, mais veulent rester anonymes», nous dit une source proche du fonds. Globalement, les «gens préfèrent distribuer directement aux personnes de leur connaissance». Obligatoire religieusement, mais pas légalement, le versement de cette zakat dépend de la bonne volonté des personnes. Difficile donc de dire quelle est la part exacte des gens qui s'en acquittent et de ceux qui se dérobent. Certains économistes ont cependant calculé que le montant récolté au niveau du fonds de la zakat devrait être supérieur à 3 milliards de dollars, se basant notamment sur un chiffre de «6000 gros milliardaires algériens». Ils se fondent également sur un rapport de l'ONU publié dans les années 1990 dans lequel il était dit qu'en Algérie «80% de la richesse est détenue par 20% de la population» Suspicion Mais le non-payement de la zakat ne procède pas toujours d'une mauvaise volonté. Un économiste spécialiste de la question et qui a été interpellé par certains chefs d'entreprise sur la manière de verser la zakat nous révèle que «80% des entrepreneurs, industriels et commerçants font des calculs faux de la zakat et l'assimilent à un impôt sur le bénéfice, alors que le patrimoine sur lequel doit s'opérer la zakat concerne les matières premières, les produits finis et semi-finis, l'argent détenu dans les banques en dinars et en devises et mêmes les créances». Par ailleurs, par «méfiance», certains citoyens «préfèrent remettre l'argent directement aux gens» qu'ils disent «connaître» et dont ils ont «la certitude qu'ils sont dans le besoin», nous dit un père de famille, enseignant dans un lycée. Sa situation, dit-il, «l'exclut» de la catégorie de ceux à qui incombe le versement de zakat «el mel», mais «si j'en faisais partie, j'agirais de la même manière», assure-t-il. Il faut dire que la suspicion est grande autour de la gestion du fonds par ceux qui ont en la charge, notamment les imams qui assurent cette mission aux côtés de donateurs et de représentants de comités de quartier, pendant que le ministère assure la couverture juridique du fonds. On se rappelle qu'en 2008, un ex-responsable du ministère des Affaires religieuses avait alimenté la polémique en accusant des imams de «détournement d'une partie du fonds de la zakat». Au niveau de certains imams, on reconnaît que «les gens ne versent pas leur zakat au niveau de la mosquée parce qu'il ne savent pas sa véritable destination et la plupart du temps, ils ne savant même pas que cet argent sera reversé au fonds de la zakat». C'est l'une des raisons qui font que les montants récoltés au niveau du fonds demeurent en deçà de ce qu'ils devraient être. Selon Nacer Hider, secrétaire général de la banque Al Baraka, qui est conventionnée avec le Fonds pour la gestion des crédits accordés aux jeunes dans le cadre de la zakat, cette dernière «doit être récoltée par les institutions de l'Etat». C'est, dit-il, la seule manière de distribuer «efficacement et d'une manière régulière» l'argent de la zakat. Actuellement, les montants récoltés «restent dérisoires», mais s'«il y a une institution nationale crédible de la zakat qui sera dotée de moyens et aura un ancrage légal pour jouer son rôle, les gens pourraient avoir confiance et y verser leur argent», à condition que les missions de supervisions et de contrôle soient réservées aux donateurs, qui doivent également accepter de jouer le jeu». Depuis 2008, le ministère des Affaires religieuses réfléchit à l'idée d'une nouvelle institution en charge de la zakat qui serait un office national.