-Quel est le constat général que vous pouvez faire de la crise actuelle qui prévaut dans la zone euro et quelle serait, selon vous, l'intensité de la crise ? On peut utiliser le terme de crise, car on posait comme hypothèse que l'Etat ne fait jamais banqueroute et, par conséquent, les remboursements des emprunts obligataires des gouvernements sont assurés. Avec la crise de la dette souveraine de la Grèce où il fallait trouver plus de 100 milliards de dollars, on a frôlé la faillite s'il n'y avait pas eu l'intervention du FMI et des pays européens. D'ailleurs, il faut rappeler que l'institution de Bretton Woods a eu recours à la vente de ses réserves d'or pour honorer ses engagements. Et d'autres pays, tels que l'Irlande, le Portugal, l'Espagne, l'Italie et la Belgique, éprouvent des difficultés à rembourser les emprunts. Ce phénomène dépasse l'échelle européenne, car même les Etats-Unis ont eu recours plus de 69 fois à changer la disposition dans leurs lois qui fixent le seuil de l'endettement du Trésor par rapport au PIB. On déduit que les différents Etats en crise comptaient rembourser leurs dettes par la fiscalité, mais en l'absence de la croissance économique et vu l'augmentation des dépenses publiques, ces pays doivent compter sur les marchés, notamment les institutions financières qui gèrent les fonds d'investissement et de placement et autres établissements tels que les caisses de retraite et d'assurances.L'autre face de la crise, ce sont les emprunteurs publics ou privés. En dehors de l'Italie, dont la dette est détenue par des résidents à 49%, on trouve les pays détenteurs de leurs dettes comme la France et l'Allemagne. En cas de non-remboursement d'un pays, ils seront les premiers touchés, suivis du Japon, des Etats-unis et à un degré moindre du Royaume-Uni. Car dans le pire scénario, ces pays connaîtront une crise systémique : de grandes banques françaises ou allemandes se trouvent détentrices de ces titres risqués et c'est pourquoi ils ont eu recours, par exemple durant uniquement le mois de novembre, à la liquidation de leur position dans le marché obligataire secondaire dépassant les 20 milliards de dollars. Cette crise met en exergue deux Europe : l'Europe des pays endettés et l'Europe des pays prêteurs (tandem France-Allemagne). Aujourd'hui, vu l'intensité de la crise, les banques centrales nationales puisent de leurs réserves, la Banque centrale européenne intervient dans l'achat d'une part de ces obligations et des gouvernements tirent de leurs budgets pour financer les opérations de garantie des dettes souveraines afin de calmer les marchés. -Quel impact cette crise a-t-elle sur les marchés financiers ? D'abord, il faut noter que les intervenants dans le marché financier sont motivés par le risque, la rentabilité et la liquidité du titre et en second lieu, il faut faire la part dans ce marché de deux types : le marché primaire, destiné aux opérations d'achat et de vente nouveaux titres, et les pressions sur ces pays se font sentir à travers la dégradation de la note du risque souverain, ce qui entraîne une hausse des taux d'intérêt et les frais de garantie (swap) de ces emprunts. Cela affecte à la fois leurs budgets (plus de ressources pour financer les coûts des emprunts) et leurs politiques monétaires. Les marchés secondaires destinés à la vente des anciens titres seront de plus en plus spéculatifs. Malgré la mise en place de mécanismes de garantie des dettes souveraines par l'Union européenne, l'ampleur de la dette est nettement supérieure à la capacité de ces pays endettés. De mon point de vue, l'intervention de l'Union ne pourrait qu'adoucir ou reporter la crise à une échéance ultérieure. D'ailleurs, je crois qu'un jour, les investisseurs dans ces marchés se rendront compte que ces mécanismes de garantie des dettes avec un effet de levier égal à 4 (c'est-à-dire les engagements des pays européens à rembourser la dette est de 25% du montant de la dette) ne sont vérifiables par aucune recherche scientifique, d'autant plus qu'en cas de crise, l'effet de levier est nul. On se dirige donc vers un marché de plus en plus spéculatif et les perdants seront ceux qui liquident leur position en dernier ou au mauvais moment. -Beaucoup d'économistes parlent déjà de récession. Quel impact cela pourrait avoir sur les économies du Sud et l'économie algérienne en particulier ? Le problème pour les pays du Sud, dont l'Algérie, a deux formes : la première concerne les pays acquéreurs des titres obligataires européens qui se retrouvent dans une zone de turbulences. La deuxième forme concerne l'impact de l'euro. A cause de la rigidité de l'interprétation de l'euro, il faut s'attendre tôt ou tard à ce que certains pays sortent de la zone euro et le temps que les intervenants dans le marché du Forex acceptent ces cas de figure (car il faut deux pays pour faire l'euro et pas nécessairement tous les pays européens), la fluctuation de la monnaie affectera les réserves de nombre de pays.