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Mohamed Hennad : «Le pouvoir est crispé, ne sachant quoi faire pour dépasser l'impasse politique»
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Publié dans El Watan le 29 - 12 - 2011

Aucun changement. L'Algérie de 2011 n'a pas changé sur le plan politique. Bien au contraire, elle a encore régressé. C'est ce que pense le politologue Mohamed Hennad qui revient ici sur les «réformes politiques» initiées par le président Bouteflika. Ces réformes venues d'en haut, estime-t-il, ne visent en réalité qu'à maintenir le statu quo.
-L'année 2011 tire à sa fin. Elle a été très remarquable pour le Monde arabe, où plusieurs pays ont connu des changements politiques profonds ; des régimes sont tombés et des processus démocratiques ont été enclenchés. L'Algérie a connu, elle aussi, des mouvements de protestation qui ont contraint le pouvoir à annoncer «des réformes politiques». Quel bilan, faites-vous, de la situation politique en Algérie durant cette année charnière ?
A vrai dire, je ne veux pas être parmi ceux qui veulent faire tendance et s'ingénient à ponctuer le temps pour le simple plaisir de le ponctuer. Il est, quand même, triste de voir les années défiler dans notre pays sans que les choses y changent sinon pour le pire. Bien plus, notre pays ne cesse de régresser dans des domaines vitaux, notamment en matière de sécurité publique et environnementale et de transparence dans la gestion des affaires publiques ; ce qui porte un sacré coup au moral de la nation que certaines chancelleries n'ont pas hésité à qualifier de «malheureuse». Je vais, peut-être, vous étonner si je vous disais, aussi, que le sens de la pudeur est en perte de vitesse dans notre pays, sachant que ce sens est le ciment même de toute vie communautaire. Vous dites «année charnière», les années algériennes n'ont jamais cessé d'être «charnières».
Sincèrement, je ne peux utiliser cette expression pour qualifier la situation dans notre pays. Pour ce qui est des réformes, je dirais, tout simplement que l'enjeu fondamental semble moins lié aux réformes – inévitables par ailleurs – qu'au souci de ne pas perdre les élections prochaines – la campagne électorale ayant déjà commencé, notamment au sein du FLN ! Car ce pouvoir fera tout pour ne pas permettre l'alternance en perdant les élections.
C'est le propre d'un pouvoir conquérant ! Cependant, ce dernier sait que les élections prochaines seront beaucoup plus difficiles à manipuler que celles qui ont eu lieu à ce jour, et ce notamment pour les raisons suivantes : les bouleversements que vit la région, avec quatre «révolutions» ayant déjà réussi à faire «dégager» les anciens dirigeants. Aussi, le problème qui se pose, aujourd'hui, au pouvoir algérien réside dans le fait que trois pays aussi nord-africains et arabes que le sien (Tunisie, Maroc, et Egypte) ont situé une barre démocratique déjà trop haute pour lui à atteindre, puisque lesdits pays ont connu des élections qui vont, malgré tout, conduire au changement de la pratique politique et au renouvellement de l'élite dirigeante qui a dominé la scène politique dans leurs pays jusqu'à présent.
Les frustrations nées de l'échec répété depuis l'ouverture du champ politique en 1989, doublé d'une demande, nationale et internationale, incessante pour une alternance et une meilleure gouvernance du pays. Il faut savoir aussi que les pays occidentaux nous surveillent de très près, notamment à travers leurs chancelleries. Tout le monde le sait. La fragilité grandissante de l'Alliance présidentielle (majorité écrasante au «Parlement», conçue pour freiner le pluralisme) à cause de son caractère plutôt disparate. Les divergences au sein de cette alliance pourraient engendrer une concurrence assez rude entre ses trois composantes lors des prochaines élections. C'est ce qui pourrait expliquer les agitations du leader du MSP depuis quelque temps, encouragé par la victoire des islamistes aux élections qui ont eu lieu en Tunisie, au Maroc et en Egypte. Il faut aussi ajouter au tableau la maladie du président A. Bouteflika et le blocage auquel elle a conduit. En cas d' un empêchement quelconque d'ici là, le pouvoir se trouvera devant une situation difficile à gérer, d'autant plus qu'actuellement aucune figure ne semble émerger du lot pour assurer une succession en douce.
-Les textes législatifs élaborés dans le cadre «des réformes politiques», promises par le président Bouteflika, ont largement été critiqués même par des parties au sein du pouvoir. Pensez-vous que la démarche adoptée jusque-là est en mesure de mettre le pays sur la voie de la démocratie ?
Comme je viens de le dire, le vrai enjeu est ailleurs. A ce titre, les critiques qui peuvent s'exprimer çà et là importent peu finalement, tant que ce qui doit attirer notre attention est moins le contenu de ces réformes que la démarche adoptée dans leur élaboration et adoption. Tout d'abord, lesdites réformes sont le «fait du prince», c'est-à-dire octroyées au lieu d'être le fruit d'un débat national et/ou d'une négociation entre les différentes forces politiques du pays. Elles ont été le résultat de simples «consultations» initiées et conduites par le pouvoir en place. De ce fait, l'application de ces réformes restera, en toute logique, tributaire de la volonté de celui qui les aura décidées. Ensuite, elles sont fondées sur des considérations sécuritaires d'abord, puisque c'est le ministère de l'Intérieur – notre cheval de Troie – qui en est l'élaborateur et l'exécutant ! Enfin, elles n'ont pas été accompagnées de mesures à même d'instaurer la confiance qui fait lamentablement défaut chez nous.
Parmi ces mesures, l'on peut citer, par exemple : le refus d'annuler l'article 93 du projet de loi électorale obligeant – pour des raisons évidentes – les ministres désirant se porter candidats aux prochaines élections législatives de démissionner, trois mois avant l'échéance électorale ; le remplacement du gouvernement actuel du moment que celui-ci est basé sur des considérations partisanes et de quotas par un gouvernement intérimaire sans enjeu électoral pour ses membres. Il aurait même été judicieux de dissoudre la législature actuelle d'autant plus qu'elle est devenue la risée de tout le monde, y compris des députés eux-mêmes.
-Dans sa dernière intervention, le président Bouteflika paraît satisfait de sa démarche et promet d'organiser «des élections législatives pluralistes et transparentes». Quels sont les enjeux de ces élections pour le pouvoir et pour la classe politique nationale ?
M. le Président, comme tous les présidents du monde, a le droit d'être satisfait de tout ce qu'il fait. Toutefois, lorsqu'il insiste que les prochaines élections législatives seront sans précédent en matière de transparence, cela veut dire, a contrario, que les élections qu'a connues l'Algérie jusqu'à présent ont été toutes frauduleuses, y compris ses propres élections, bien entendu. Il faut donc commencer par reconnaître, sans détour, ce fait avant de promettre quoi que ce soit ! En même temps, rien ne garantit que cette promesse sera tenue cette foi-ci, d'autant plus qu'il s'agit d'une promesse qu'on ne cesse de répéter à la veille de chaque échéance électorale. Car une fois les résultats de ces élections seront connus, on ne pourra rien contre ; ce sera un fait accompli, comme toujours !
Quant aux enjeux de ces élections pour le pouvoir en place, je pense qu'ils sont clairs. Comment faire pour demeurer au pouvoir sans perdre la face devant les opinions publiques nationale et internationale, vu tout ce qui se passe, depuis plus d'une année, chez nous, autour de nous et ailleurs. Il s'agit là d'une équation qui sera très difficile pour le pouvoir à résoudre. Ceci côté pouvoir. Côté «classe politique», il faut distinguer, grosso modo, deux classes : une plus ou moins parasitaire qui voudrait voir les choses rester, tant bien que mal, en l'état dans notre pays et l'autre plus ou moins de défi qui voudrait le contraire, mais qui, primo, peine à s'entendre sur un dénominateur commun, notamment comment préparer le terrain pour une compétition politique saine avant de parler de cette compétition en elle-même ; secundo elle ne donne pas l'impression d'avoir bien appris la leçon, notamment avec le régime en place . Par conséquent, l'enjeu sera différent selon qu'il s'agisse d'une ou de l'autre classe.
-Le système algérien est-il prêt à faire sa mue ?
Franchement, non ! Il est quand même triste de constater que la «tragédie nationale» n'a servi à rien jusqu'à présent. Bien plus, elle continue sous une forme ou une autre ! Force est de constater que le pouvoir en place ne veut pas faire sa mue, mais il faut, aussi, se rendre à l'évidence qu'il est foncièrement incapable de faire cette mue sans qu'il y soit contraint d'une manière ou d'une autre. Je dirais même qu'il est crispé, ne sachant quoi faire pour dépasser l'impasse politique que le pays vit depuis une bonne vingtaine d'années. Car, il doit penser que toute initiative crédible de changement dans les mœurs politiques et dans l'élite régnante serait, inévitablement, fatale pour lui. Bien plus, il est à parier que ses dignitaires craignent des poursuites sérieuses si jamais leur système tombe.


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