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«Le pouvoir n'hésitera pas à intervenir financièrement pour stabiliser le front social» Kouider Boutaleb. Professeur d'économie à l'université de Tlemcen
-La conjoncture de 2011 a contraint le gouvernement à agir un peu dans l'urgence pour calmer le front social. Selon vous, quelles devraient être les priorités pour 2012 ? Si on se réfère a la loi de finances 2012, adoptée par l'Assemblée populaire nationale (APN), on retrouve les mêmes orientations pour ne pas dire priorités de la politique économique algérienne qui est initiée depuis une décennie dans le cadre de ce qui tient lieu de stratégie pluriannuelle de développement, à savoir les plans de relance de la croissance économique. Il s'agit de poursuivre la réalisation des programmes d'investissement public pour assurer le taux de croissance économique projeté pour 2012 qui est de l'ordre de 4,7% avec une préoccupation majeure, celle du maintien des grands équilibres macroéconomiques. Sur le plan social, qui revêt une extrême importance vu la conjoncture inhérente au Printemps arabe, la priorité serait d'assurer la paix et la stabilité sociale. Instruit par les événements de début de l'année 2011 qui ont poussé les pouvoirs publics à intervenir financièrement pour maintenir une paix sociale vulnérable à la hausse des prix des produits de première nécessité, les pouvoirs publics continueront en 2012 à subventionner les produits de base le lait, les céréales, les huiles, le sucre, mais aussi à veiller à la solidarité sociale par versement des allocations familiales de l'ensemble des travailleurs, y compris du secteur privé, le paiement des compléments de retraite, aides à l'endroit des démunis et des handicapés. Pour cela, on consacre une enveloppe de 1300 milliards de dinars (17% du budget de l'Etat). La priorité serait apparemment de veiller à la maîtrise de l'inflation et prévenir tout dérapage inconsidéré dans les prix des denrées de base (toutes les prévisions au niveau international indiquent une forte hausse des prix des produits de base, blés, huile sucre…). Pour 2012, le taux prévu de l'inflation serait de l'ordre de 4%, soit le taux officiellement enregistré durant l'année 2011. Le gouvernement estime que ce taux est acceptable au vu de la politique monétaire du pays. On pourrait naturellement s'interroger sur ces prévisions, surtout que le calcul du taux d'inflation est lui-même sujet à caution et très fortement controversé. -Mais les pouvoirs publics ont-ils d'autre choix que de procéder ainsi ? On pourrait s'interroger sur la poursuite d'une telle politique. Dans une économie de marché, pour laquelle on a opté, les prix se fixent sur le marché, marché régulé est surveillé par des institutions compétentes. Certes, il ne saurait être question de laisser sombrer dans la pauvreté ceux qui ne peuvent supporter des hausses de prix brutales, l'Etat doit, au nom de la justice sociale, leur apporter aide et assistance, mais il s'agit dans un tel contexte d'aides ciblées, destinées à ceux qui doivent en bénéficier et non des subventions qui profitent aux riches comme aux pauvres. Par ailleurs toujours dans cette quête de paix sociale les pouvoirs publics poursuivront le financement de programmes d'aide à la micro-entreprise et à l'emploi des jeunes par les dispositifs publics. Pour 2012, on a prévu un budget de près de 180 milliards de dinars. Il s'agit, selon l'argumentaire des pouvoirs publics, de consolider les actions déjà entreprises dans le cadre des mesures urgentes prises début mars pour faciliter l'accès aux jeunes au crédit et à la création d'entreprises. Là aussi, on peut s'interroger sur l'efficacité de programmes qui ont déjà fait l'objet de beaucoup de critiques : peut-on continuer à financer des programmes coûteux, dont aucune étude à notre connaissance n'a établi l'efficacité et l'efficience en termes de retombées économiques ? N'est-il pas temps de réfléchir à d'autres politiques d'insertion plus prometteuses en s'inspirant pour cela des expériences internationales les mieux réussies ? -La facture des importations a atteint en 2011 un niveau affolant, selon vous. Qu'est-ce qui doit être fait pour arrêter cette hémorragie? Rappelons que devant l'envolée de la facture d'importations, le gouvernement avait décidé de prendre toute une série de mesures pour en réduire le volume, sinon d'en limiter la hausse. Il s'agit surtout, faut-il le rappeler, de l'annulation du crédit à la consommation, de l'établissement du crédit documentaire, nonobstant d'autres mesures restrictives. Ces mesures ont été contreproductives dans la mesure où loin de diminuer, les importations continuent d'augmenter si on excepte l'année 2009. Selon les données disponibles, en l'occurrence celle du Centre national de l'informatique et des statistiques des Douanes (CNIS), les onze premiers mois de 2011 enregistrent déjà 42,63 milliards de dollars contre 36,49 au cours de la même période en 2010, soit une hausse de 16,83%. La valeur globale des importations atteindrait fin 2011 quelque 46 milliards de dollars contre 40 milliards de dollars en 2010. Cela ne peut plus durer surtout en perspectives si on considère une baisse très probable des prix des hydrocarbures sur le marché international -Que faire alors ? Les mesures qui ont été prises jusque-là, de nature purement réglementaire, ont été manifestement contre-productives, sur quelles bases ont-elles été décidées ? Il faudrait par conséquent procéder à des études sérieuses qui permettent d'orienter rationnellement la décision publique (que font les nombreux laboratoires créés dans toutes les universités du pays et financés sur budget de l'Etat ?). Seul un diagnostic rigoureux de la production nationale (industrielle et agricole, services y compris) permettra d'établir ce qui est produit dans le pays et ce qui ne l'est pas, ce qui peut être produit concurrentiellement selon ses avantages comparatifs naturels et construits ou à construire (qu'est devenue la politique industrielle que le gouvernement s'était engagé à initier sans tarder pour reconstruire l'industrie nationale) et ce qui ne peut pas l'être présentement. Il permettra d'établir, la qualité comparée des produits locaux et des produits importés…, et à partir de la, les pouvoirs publics peuvent à l'instar de nombreux pays qui ont institué des politiques de préférence nationale et contribuer par des mesures incitatives au changement de comportement des consommateurs et des producteurs à l'avantage des labels du pays (comme c'est le cas dans beaucoup de pays asiatiques). On ne peut pas comprendre dans la situation qui est la nôtre comment une entreprise publique puisse passer commande pour un semi-produit à une firme étrangère, alors que le même produit présentant les mêmes caractéristiques est fourni par une entreprise locale souvent avec des conditions meilleures. Il faudrait par conséquent axer les efforts pour favoriser le développement de l'offre locale de produits industriels et agricoles, y compris en matière d'offre de services et encourager toutes les formes de partenariat avec des opérateurs algériens ou leur accorder des licences de fabrication. Il n'est certes pas question de revenir au protectionnisme pur et dur, le recours à l'étranger demeurera, mais la priorité nationale devrait être consacrée, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. -Pensez-vous que les mesures prises en 2011 avec notamment des augmentations de salaire, les facilitations de l'Ansej seront suffisantes pour donner au gouvernement un peu de répit sur le front social en 2012 ? Rien n'est acquis. Mais «la paix sociale n'ayant pas de prix» et compte tenu de la marge de manœuvre financière s'entend, on peut être sûr que le pouvoir n'hésitera pas à intervenir «financièrement» en cas de besoin pour stabiliser encore le front social. Il s'agit cependant d'une fuite en avant coûteuse qu'il faudrait bien transcender par des réformes d'essence démocratiques réelles en phase avec les espérances populaires à même d'ouvrir des perspectives de développement fondées sur la bonne gouvernance, suscitant ou régénérant l'espoir perdu chez les jeunes de vivre dans leur pays en contribuant productivement à sa prospérité.