Exclu des décennies durant par la pensée unique ankylosée dans ses constantes dites nationales pour avoir eu le triple tort d'être kabyle, francophone et chrétien, Jean Mouhoub Amrouche est en passe d'être, près de cinquante ans après sa mort, réhabilité par ses frères de sang dans un élan synonyme de devoir de mémoire. Conscients du sacrifice désintéressé consenti par J. M. Amrouche dans son combat pour la reconnaissance de l'Algérie combattante au niveau international et admiratifs de ses œuvres poétique et littéraire, les membres de l'association Etoile culturelle lui ont dédié en guise d'hommage posthume la 5e édition de la rencontre poétique d'expression amazighe qui s'est tenue du 27 au 30 décembre dernier à Akbou. Hocine Lamriben, journaliste à El Watan, a donné dans ce cadre une communication durant laquelle il a tenu à dépoussiérer l'aspect méconnu de la pensée politique et spirituelle d'un homme qui n'a pas manqué, en son temps, d'audace intellectuelle. «J. M. Amrouche a tenté à maintes reprises d'influencer le général De Gaulle, avec lequel il s'entretenait régulièrement avant et après son retour au pouvoir, sur le problème algérien, comme il l'a écrit dans son journal intime, demeurant inédit, qu'il a tenu de 1928 à sa mort. Favorable à la politique d'intégration au départ, sa pensée politique bascule après les massacres du 8 mai 1945. Il ne croyait plus à l'Algérie française, appelle à l'indépendance du pays et soutiendra par la suite le FLN», dira en substance l'orateur. Mais ses prises de position, apprend-on, lui coûteront cher : il sera renvoyé de la Radio française en 1958 et sera censuré dans la grande presse d'outre-mer. «Son amitié avec Albert Camus volera en éclats aussi à cause de leur divergence sur le problème algérien», fera remarquer Hocine Lamriben. Né en 1906 à Ighil Ali, dans la région d'Ath Abbas, il émigre en famille en Tunisie puis en France. Après de brillantes études à l'Ecole normale de Saint-Cloud, il devient professeur de lettres et publie chez L'Harmattan un premier recueil de poésie intitulé Cendres (1928-1934), puis un second Etoile secrète (1937) et un troisième Chants Berbères de Kabylie (1939). Directeur de la revue L'Arche, éditée par E. Charlot, il publia les grands noms de la littérature française et en fréquenta quelques-uns. Il réalisa à partir de 1938 plusieurs émissions littéraires à la Radio française, que ce soit à Tunis, à Alger ou à Paris et s'illustra par sa série de 34 entretiens avec, entre autres, André Gide, François Mauriac et Paul Claudel. Il décède le 16 avril 1962 des suites d'une longue maladie. «Lors de ses obsèques auxquelles ont assisté des personnalités françaises, marocaines, des membres du GPRA et de sa famille au sud de la France, des militants algériens recouvrirent son cercueil du drapeau national», soulignera le conférencier.