L'Irak s'enfonce dans un tunnel devenu sans fin avec une succession de crises qui en prolongent le parcours. La situation se mesure au nombre de morts qui permet de constater que l'année qui vient de s'écouler a été au moins aussi violente que 2010. Et les années à venir pourraient être encore plus dangereuses pour l'avenir de ce pays. Cette fois, des leaders irakiens toutes tendances ethniques et politiques confondues – donc suffisamment bien informés des jeux du pouvoir et des enjeux qui en découlent – tirent la sonnette d'alarme. Leur conclusion est tout simplement inquiétante. Peut-être même plus que tout ce qui a été dit, surtout depuis que l'Irak a découvert la guerre entre ethnies qui a débouché sur un remodelage du pays. Ceux qui ont décidé de monter au créneau accusent le Premier ministre, Nouri Al Maliki, d'essayer d'établir une nouvelle dictature avec le risque d'une guerre civile. Ils sont regroupés dans le bloc parlementaire Iraqiya. Iyad Allaoui, qui en est le chef de file, Ossama Al Noujaifi et Rafi Al Essaoui accusent Al Maliki d'utiliser les forces de police et le système judiciaire pour harceler l'opposition, principalement sunnite. Plus que cela, et pour bien montrer qu'il ne s'agit en aucun cas d'un conflit de personne, M. Al Noujaifi, qui préside le Parlement irakien, en rajoute une couche en soulignant que «les droits de l'homme ont été violés de manière massive par le recours à la violence contre les personnes, l'atteinte à la propriété, les arrestations arbitraires, les mauvais traitements». Le pays est bloqué, ce qui n'est pas nouveau si l'on considère que le gouvernement actuel n'a vu le jour qu'après une année de tractations. Et plutôt que d'aller vers des solutions d'urgence qui empêcheraient le morcellement de l'Irak, tout semble au contraire fait pour en accélérer la cadence. La méfiance entre les blocs chiite et sunnite ne fait que s'approfondir. Tout a commencé, mais ce n'était là que la goutte de trop, par un mandat d'arrêt lancé à l'encontre du vice-président sunnite Tarek Al Hachémi. Immédiatement, Iraqiya, deuxième groupe parlementaire avec 82 députés, a annoncé que ses ministres boycottaient le gouvernement, deux jours après avoir suspendu sa participation aux travaux du Parlement, en dénonçant la «dictature» de M. Al Maliki. Poursuivant son offensive, M. Al Hachémi a accusé M. Al Maliki d'avoir pris le contrôle des institutions-clés du pays en copiant «beaucoup des comportements de Saddam» Hussein, tout en parvenant à s'assurer le soutien à la fois des Etats-Unis et de l'Iran. Voilà donc un autre axe développé par ce nouvel opposant, et si les Américains multiplient les appels au calme, sans visiblement chercher à intervenir, le voisin observe le mutisme. Dans le même temps, et sans préjuger sur quoi débouchera une telle situation, le groupe parlementaire de Moqtada Sadr a appelé à la dissolution du Parlement. S'il est évident que les sunnites ne pourront plus jamais détenir le pouvoir, il n'est pas non plus évident que la coalition de Nouri Al Maliki soit une nouvelle fois majoritaire. Les fractures politiques et ethniques ouvertes dans le sillage de l'invasion américaine en 2003 sont aussi fortes que profondes. Le pays vit dans la peur, et le rêve demeure interdit. Ce qui n'empêche pas l'envoyé spécial des Nations unies en Irak d'aller à l'encontre de ces analyses en déclarant qu'il ne s'attend pas à ce qu'une guerre civile éclate dans ce pays. Les Irakiens ne demandent qu'à y croire.