L'économie du Niger repose sur l'agriculture et l'élevage, durement touchés par le climat sahélien. Les faibles pluies et l'augmentation du prix des matières premières annoncent, d'ores et déjà, une aggravation de l'insécurité alimentaire. Pourtant, les Nigériens ne se résignent pas. C'est le cas des éleveurs de la coopérative laitière de Kirkissoye. Reportage. Des hommes assis sous un olivier centenaire, des zébus ruminant dans leur box – qu'on appelle ici des vaches – des enfants qui courent dans l'exploitation… Kirkissoye, du nom du village qui se trouve, à une quinzaine de kilomètres de la capitale, est une des plus anciennes coopératives laitières du Niger. Et une des plus artisanales. Dans ce pays, classé parmi les dix plus pauvres de la planète, la promotion de la filière laitière fait partie des programmes prioritaires de chaque gouvernement, en raison notamment du rôle important du lait dans le processus de sécurité alimentaire. Pourtant, jamais les objectifs n'ont été atteints. D'après un rapport d'Etat, la consommation de lait a régulièrement baissé depuis les années 1960 et la production nationale ne satisfait plus que 50% de la demande. De ce fait, le Niger doit ainsi importer annuellement des produits laitiers. «La coopérative existe depuis une trentaine d'années et fournit en lait les habitants de Niamey et Kirkissoye, explique Issoufou Hassan, producteur de lait et vétérinaire C'est un modeste levier pour l'économie de la commune, qui est bien pauvre. Toutefois, on se démène pour essayer de se positionner sur l'échelle de la production nationale… Enfin, c'est loin d'être suffisant. Ceci dit, il est important que ce type de coopératives existe, elles ne représentent pas un danger pour la production semi-industrielle ou industrielle. Elles pérennisent un savoir-faire et entretiennent le bétail.» Situé sur la rive droite du fleuve Niger en aval de Niamey, Kirkissoye s'étend sur une superficie de 35 ha. Dix hectares sont réservés à l'exploitation, tandis que les 25 autres servent aux paysans et à l'agriculture locale. «Heure africaine» Créée en 1966 par le gouvernement nigérien, l'exploitation avait pour mission de faire de «la recherche appliquée en matière de production, le forage irrigué permet d'assurer la ration de base des animaux.» L'exploitant admis à la coopérative bénéficie de 8 vaches ou génisses, de race azawack, qu'il est tenu de rembourser selon les critères suivants : deux veaux par vache reçue, âgés de 10 à 11 mois. Ces animaux de remboursement sont gardés à la station dans le but de les réinjecter dans le circuit de la coopérative pour rajeunir le cheptel. Dans la coopérative laitière, les journées commencent tôt, «à l'heure africaine» comme on dit au Niger, c'est-à-dire 7h. Même le bétail s'est adapté au rythme de l'homme. Il faut avouer que les matins sont particulièrement chauds. «Je suis le premier sur place, je crois que c'est le rôle d'un directeur, et puis j'y travaille depuis trente ans», raconte Souleymane, père de cinq enfants et directeur de la coopérative laitière de Kirkissoye. «Ce métier me vient de mon père, qui était éleveur et son père avant lui. Mais mes enfants ont fait des études universitaires et ne songent pas à suivre mon parcours. Flambeau ou fardeau, la mission sera léguée à un autre éleveur…» La coopérative est accessible à tout le monde et on peut circuler librement tant qu'on ne dérange pas le processus. Tout le monde garde le silence pour ne pas perturber les bêtes. «Les vaches se sont habituées à un rythme spécifique, si elle sont stressées la productivité chute, c'est pour cette raison qu'il y a 25 étables contenant chacune 8 vaches seulement», explique Hamadé, éleveur expérimenté et attentif au moindre changement d'humeur du bétail, particulièrement chouchouté. Sécheresse «Vous voyez, c'est le matin elles ont besoin de bourgou (herbe proche du foin, ndlr) et d'eau. Il suffit de les approvisionner pour qu'elles cessent de s'agiter. Chaque éleveur est responsable de son étable. Certains sont salariés et payés par un exploitant.» Pendant que Hamadé nettoie son étable, les deux «ingénieurs», comme on les appelle, Massaoudou et Boubé, âgés de 12 ans, courent derrière un veau peu discipliné qui a réussi à sortir de l'enclos. «La sécurité, c'est nous !, nous prennent-ils à témoin. Avant l'école, on aide les éleveurs, et on fabrique des jouets pour les plus petits.» Pendant toutes ces années, il s'est créé une ambiance chaleureuse entres les éleveurs, les paysans et leurs familles. «On traverse mieux les épreuves quand on est une armée, dit un proverbe africain, surtout durant les périodes de sécheresse», ajoute Hamadé. Au Niger, le climat est de type sahélien avec une longue saison sèche et une courte saison des pluies. La saison des pluies dure de juin à septembre. Elle est caractérisée par une forte chaleur, un taux d'humidité très élevé et peu de vent. «Notre pays dispose de beaucoup de terres agricoles, mais le peu de moyens qu'il y a ne suffisent pas à reconstruire l'agriculture du Niger, explique Issoufou Hassan. Les coups d'Etat successifs ont affaibli l'économie et perturbé le cycle naturel des choses, c'est-à-dire que si le paysan abandonne la terre, l'éleveur le bétail, ça ne peut que fragiliser les anciennes structures, voire cette longue tradition où l'élevage était presque inné.» Il est vrai que l'élevage est essentiel pour la population nigérienne. «C'est une véritable lutte au quotidien pour tout le monde. La pauvreté dans laquelle nous vivons nous motive à faire les sales besognes pour sortir ce secteur et surtout offrir des emplois, ajoute Issoufou Hassan. Il faut une stratégie à long terme et efficace. La famine est à nos portes aujourd'hui encore, comment va-t-on y faire face ? Certainement pas avec une coopérative qui boite et une saison de sécheresse extrême.»