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Anouar Malek : «En Syrie, on a menacé de m'égorger»
Entretien : les autres articles
Publié dans El Watan le 17 - 01 - 2012

La fracassante démission du journaliste et écrivain algérien Anouar Malek, le 6 janvier, de la mission d'observateurs de la Ligue arabe en Syrie a mis à mal le régime de Damas, la Ligue arabe et même les autorités algériennes. Dans cet entretien exclusif à El Watan, il répond aux déclarations de Mourad Medelci et aux accusations du général soudanais Eddabi, chef de la mission.
-Comment avez-vous participé à la mission d'observation en Syrie et sous l'égide de quelle ONG ?
J'ai été choisi par le Comité arabe des droits de l'homme, dont le siège est à Paris, pour représenter l'ONG dans cette mission humanitaire. Je n'ai pas hésité à accepter cette offre car j'ai vu dans cette participation ma contribution à l'instauration de la paix en Syrie, un pays très cher à mon cœur.
-Combien y avait-il d'observateurs algériens au sein de cette mission ?
J'étais dans le premier groupe qui a quitté Le Caire pour Damas le 26 décembre dernier, et qui comprenait environ cinquante observateurs représentant plusieurs pays dont l'Algérie, la Tunisie, l'Irak, la Mauritanie, le Soudan, Djibouti, le Maroc et l'Egypte. A ce moment-là, l'Algérie avait envoyé six responsables, trois lieutenants-colonels et trois représentants du ministère des Affaires étrangères, qui ont été rejoints par quatre autres Algériens. En tout, la mission officielle algérienne comprenait dix responsables, répartis entre la banlieue de Damas, Deraa, et Alep.
-Que répondez-vous à Mourad Medelci qui a clairement fait entendre que vous ne représentiez pas l'Etat algérien ? Vous attendiez-vous à une telle réaction ?
J'ai été surpris par les termes employés par le ministre algérien des Affaires étrangères. Comme s'il m'enlevait ma nationalité algérienne, alors que je n'ai pas d'autre nationalité. Il aurait fallu que M. Medelci dise : «Anouar Malek est Algérien, mais il ne fait pas partie de la délégation officielle du gouvernement algérien.» Ses propos illustrent une défense franche du régime de Bachar Al Assad. Il est vrai que je ne représente pas le gouvernement. Et cela ne m'honorerait pas de représenter un gouvernement dont le ministre des Affaires étrangères est Mourad Medelci, parce qu'on l'a vu à plusieurs reprises commettre de graves erreurs qui font honte à la diplomatie algérienne.
La première personne à s'être désolidarisée de ma position a malheureusement été M. Medelci, alors que le ministre des Affaires étrangères syrien, Walid Al Mouallem, n'a même pas réagi. A mon tour et en tant qu'observateur, je me désolidarise complètement des propos de M. Medelci sur la situation en Syrie. Des propos en complète contradiction avec la réalité du terrain. Je ne sais pas quelles sont les sources de ce ministre ; si ces sources proviennent de la Ligue arabe, j'ai déjà affirmé que tous les rapports envoyés sont mensongers. Si ces sources sont des membres de sa propre délégation en Syrie et si elles affirment qu'elles ont une autre opinion que la mienne, alors cela décrédibilise encore plus la mission des observateurs. Car cela signifie qu'ils obéissent à leur propre gouvernement et non au protocole de la Ligue arabe.
Par ailleurs, les premières vidéos à avoir filtré étaient celles du commandant Achour, de la délégation officielle algérienne, où l'on voit clairement des snipers à Deraa, des scènes dont le général Mohammed Ahmed Mustapha Eddabi, chef de la mission des observateurs, a démenti l'existence. De toute manière, M. Medelci s'est lui-même décrédibilisé ainsi que son propre ministère. Encore une fois, il fragilise la position officielle du régime.
-Que répondez-vous au chef de la mission d'observation qui vous reproche de n'avoir pas quitté votre chambre pendant six jours ?
Ce sont les chaînes satellitaires qui lui ont répondu, à chaque fois qu'elles diffusaient une vidéo où l'on me voyait en sa compagnie dans les quartiers de Homs où j'accomplissais ma mission de manière tout à fait normale ! Même les chaînes satellitaires syriennes et d'autres chaînes arabes pro-Al Assad qui m'attaquaient ont montré, elles aussi, des vidéos où j'apparais dans plusieurs quartiers de Homs. J'ai passé seize jours à Homs et j'ai été le premier, en compagnie d'Eddabi, à entrer dans le quartier de Baba Amrou. Nous y sommes restés deux jours consécutifs. Ce fut notre première sortie sur le terrain. Et ce même Eddabi prétend que j'ai passé six jours dans ma chambre d'hôtel ! Alors, qu'ai-je fait durant les dix autres jours ?
J'ai également publié mes observations sur ma page facebook le matin du vendredi 6 janvier 2012. Et cette page a été piratée le jour même, après que les médias aient repris les informations. J'ai tout de suite gelé mon travail au sein de la mission jusqu'à mon départ de Homs lundi 9 janvier au matin. A propos de ma prétendue maladie, j'ai juste attrapé une grippe, comme mes autres collègues de la mission, et c'était pendant la période où j'avais démissionné. Le plus surprenant est arrivé le samedi 7 janvier : la Ligue arabe a démenti la fermeture de ma page facebook en prétendant que je suis ambassadeur et que je m'appelle Anouar Abdelmalek Ahmed.
Cela est arrivé parce qu'Eddabi m'a contacté alors que j'étais dans ma chambre et il m'a questionné sur ma page facebook fermée. Je lui ai répondu que je n'étais pas au courant parce que je n'avais pas internet dans ma chambre, mais il ne m'a plus contacté par la suite. Les accusations d'Eddabi l'ont mis à nu et corroborent tout ce que j'ai dit à propos de cette mission inefficace, d'un niveau ridicule, qui ne correspond pas à une très grande mission dont dépend l'avenir de tout un pays et de la région.
-Avez-vous reçu des menaces ?
Le vendredi 6 janvier, suite à la publication de mes observations sur facebook, j'ai reçu plus de dix appels anonymes me menaçant d'être «égorgé». Et le jour où nous avons, avec mes collègues, quitté Homs pour Damas, des snipers ont tenté de nous tuer. Heureusement, seule notre voiture et celle de notre protection ont été touchées. Chose bizarre, nos accompagnateurs nous ont emmenés sur une route, à côté du quartier de Baba Amrou, alors que ce n'était pas notre chemin habituel. Le régime voulait nous convaincre que c'était l'armée libre syrienne basée à Baba Amrou qui avait tenté de nous tuer. Or, nous avons essuyé des tirs alors que nous nous trouvions sur un pont proche de l'université du Baas.
Un barrage de chebihas (milices armées civiles pro-régime, ndlr) nous séparait du quartier de Baba Amrou ainsi que des maisons, toutes occupées par l'armée syrienne et les snipers. Un professeur d'université m'a personnellement informé qu'il avait vu des snipers en train de se préparer sur le toit d'une maison, un quart d'heure avant notre passage. Après avoir démissionné et après mes déclarations à Al Jazeera, j'ai reçu des appels téléphoniques anonymes de chantage. On me menaçait de publier des photos de moi dans la salle de bains de ma chambre de l'hôtel Essafir, à Homs !
-Est-ce que d'autres observateurs ont démissionné ?
Oui. Avant moi, d'autres étaient déjà partis quand je me trouvais encore à Damas. Le lundi 9 janvier, le docteur Abdelhamid Elouali a quitté la mission. Il avait, dans une réunion le 27 décembre dernier, très violemment critiqué la mission en la qualifiant de «mascarade». Pendant ce temps-là, le général Eddabi était occupé au téléphone. Le Marocain l'a interpellé : «Il est très mal élevé de rester au téléphone quand quelqu'un vous parle.» Un Tunisien a aussi demandé à quitter la mission, mais je ne connais pas la suite. L'Egyptien Ahmed Abdallah Khalil et le Djiboutien Mohamed Houcine Omar ont quitté la mission avec moi et je sais que d'autres ont menacé de se retirer si les choses restaient en l'état.
-Quelles ont été vos conditions de travail sur place ? Qu'est-ce qui vous a le plus choqué ?
Il n'y avait aucune condition spécifique de travail. Nous avions un protocole à suivre, mais sur place, il n'était pas respecté. Nous souffrions du manque de moyens. Nous devions prendre les communications téléphoniques à notre charge. Nous n'avions même pas droit à un bureau alors qu'il était convenu que des locaux seraient mis à notre disposition pour accueillir les citoyens. Nous sommes restés dans l'hôtel, gardés et surveillés par les services secrets, où l'on ne pouvait rencontrer que les pro-régime et des personnes embrigadées qui nous racontaient des contrevérités. La mission d'observation aurait dû travailler dans la sérénité. Depuis notre arrivée, les tirs de balle n'ont pas cessé.
Le régime continuait à bombarder les quartiers à l'artillerie lourde et nous écoutions tout cela sans pouvoir rien faire. Ce qui m'a le plus choqué, ce sont les assassinats qui ciblaient même les enfants. Nous avons vu un cadavre dépecé. C'était un citoyen du quartier de Baba Amrou, qui avait été arrêté puis rendu à sa famille dans un état que l'esprit humain ne peut même pas imaginer. Les tirs de snipers étaient continuels, contrairement à ce qu'avait promis le gouvernement syrien. Sous le choc de tous ces terribles crimes, je trouvais très dangereux que les rapports envoyés à la Ligue arabe ignorent beaucoup de questions sensibles. Ce qui m'a confirmé que plusieurs pays arabes étaient complices du régime de Bachar Al Assad.
Le président de la mission, le général Eddabi, n'a choisi que des personnalités proches des régimes pour présider les groupes sur le terrain. Il a complètement ignoré les éléments issus des ONG et les voyait même comme des ennemis. Il faut souligner que notre protocole de travail a été rédigé dans les beaux salons de la Ligue arabe, loin de la réalité humanitaire tragique. Son application était donc impossible. Par exemple, le gouvernement syrien était chargé de notre sécurité, mais notre escorte – les services de sécurité syriens – ne pouvaient entrer dans la plupart des zones chaudes, comme à Baba Amrou. L'escorte nous disait : «Allez-y, assumez vos responsabilités.» Et lorsque nous rencontrions des difficultés, souvent à cause des snipers, cette même escorte nous accusait d'avoir commis une erreur en voulant entrer dans ces quartiers. Alors, comment appliquer un protocole qui nous demande de dialoguer avec les gens lorsque nous nous trouvions dans des quartiers détruits, sinistrés, face à une situation humanitaire catastrophique ?
-Pourquoi, selon vos déclarations, la Ligue arabe a-t-elle produit de faux rapports et quelles en ont été les sources ?
Le problème a commencé à cause de certains chefs de groupe, plus précisément le groupe A et le groupe B, à Homs. Le premier – dans lequel je me trouvais – était dirigé par le colonel Abdallah, des services secrets soudanais ; le second était dirigé par une jeune Irakien, Ammar Djaber Abas, fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères irakien. J'ai lu les rapports envoyés à la salle des opérations à Damas. Et j'ai trouvé que ces rapports étaient vides et ignoraient beaucoup de choses, comme par exemple le non-retrait des blindés militaires ou l'emploi de la violence contre les civils, etc. Le général Eddabi a raconté aux médias des contrevérités. Par exemple, le 25 décembre, il a déclaré que la situation à Homs, après notre visite, était calme, alors que nous avons assisté à des tirs de snipers. On nous a tiré dessus et l'artillerie bombardait des quartiers. Tout cela a corrompu le travail de la mission et a causé un très grand tort au peuple syrien et à la noble mission pour laquelle nous étions là-bas.
-Qu'en est-il des groupes armés de l'opposition ?
Il n'y a pas de groupe armé. Il y a une armée libre dont les chefs sont des officiers dissidents qui obéissent à leur propre loi. Mais ils ont avec eux, aussi, des volontaires qui portent des armes. J'ai rencontré Abderrezak Talas, un des officiers dissidents les plus connus, dans une maison abandonnée, à Baba Amrou. Je l'ai questionné à propos de ces civils armés. Il m'a expliqué que les militaires dissidents ont besoin des habitants du quartier pour mieux les protéger parce que la plupart des militaires ne sont pas issus de ces villes-là. C'est pour cela qu'ils ont ouvert la voie à des volontaires, mais de manière très contrôlée. Je précise que depuis notre arrivée à Homs, les éléments de l'armée libre nous avaient promis une trêve et l'ont respectée. Et cela, malgré les bombardements incessants de l'armée régulière. J'affirme ici que l'armée libre est en situation de défense des quartiers et que sans sa présence, des quartiers entiers auraient été exterminés.
-Comment voyez-vous l'avenir de la Syrie ?
La Syrie se dirige vers une guerre civile. Tant que le régime persiste à employer tous les moyens militaires pour enterrer la révolte populaire. Et tant que le régime de Bachar Al Assad tente d'allumer la mèche du lien confessionnel en misant sur le soutien de la communauté alaouite et en pariant sur la victimisation de la minorité chrétienne. C'est pour cela que les assassinats et les kidnappings ciblent aussi les familles alaouites et les chrétiens. J'ai vu de mes yeux les cadavres du colonel à la retraite Amir Roger et de son fils Hani, assassinés le 5 janvier. D'après mon expertise militaire, j'ai constaté que les munitions utilisées étaient les mêmes que celles utilisées contre les civils dans les quartiers révoltés : des balles explosives. Je souhaite tout le bien pour la Syrie. C'est un beau pays, un grand peuple, mais dommage, dirigé par le sinistre régime de Bachar Al Assad.


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