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Un ghetto nommé El Gammas
Bas-fonds du Vieux Rocher
Publié dans El Watan le 25 - 01 - 2012

Les habitants de cette banlieue populeuse semblent évoluer en marge de la société, dans l'attente des projets d'amélioration urbaine inscrits.
Une pente cahoteuse, truffée de nids-de-poule, que d'innombrables fuites d'eau fusant de conduites usées, ont vite fait de transformer en mares: voici à prime abord l'entrée d'El Gammas. Dans cette agglomération située à la périphérie Est du Vieux Rocher, où s'entassent, dans un désordre surréaliste, 20 000 habitants, rien n'est fait pour réjouir le visiteur, à commencer par l'état lamentable de la chaussée. La cité s'annonce par son cimetière, devant lequel ne craignent pas de se garer d'innombrables véhicules lors des enterrements et autres fêtes religieuses, créant une cacophonie de bouchons, interdisant pendant des heures l'accès à la cité. Plus avant dans le quartier, tout le monde marche sur la chaussée, les trottoirs étant tous squattés par les commerçants. Fruits et légumes, épiceries, étals de viande, vêtements, ferraille… tout déborde insolemment des magasins, dont beaucoup sont spacieux, n'ayant de ce fait nul besoin de grignoter les espaces pour piétons. Mais qui peut les en empêcher ?
Les services de sûreté ne sont là qu'en cas d'incidents majeurs, relevant du crime ou du délit, s'accordent à dire les personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenu. Du reste, l'activité principale de ce bourg semi-rural est justement le «commerce». Boutiques, cafés et taxiphones en quantité astronomique, résument toute son «économie». Pourtant, certains magasins affichent une prospérité qui semble incongrue dans ces lieux de misère, où se côtoient, pêle-mêle, habitations imposantes, et autres, misérables, érigées de travers, poussant à perte de vue, sans plan préconçu. Ceci, sans parler des 1200 chalets en amiante, rassemblés sur un terre-plein, entourés de clôtures en tôle rouillée qui accentuent leur aspect miteux. Un vrai ghetto où sont «parqués» des gens depuis 1972 ! Le délégué de secteur, Mohamed-Salah Bouchema, nous instruira que leur éradication est inscrite à l'étude au cours de cette année. «Toute la cité sera touchée par le plan de 2012 relatif à l'amélioration urbaine», a-t-il informé.
Insalubrité, insécurité, chômage et… toxicomanie
Le beau ciel bleu, immaculé, de cette matinée d'hiver et le soleil radieux qui darde avec mansuétude ses rayons sur les lieux, n'arrivent pas à faire oublier la disgrâce d'El Gammas. Comment ignorer les ordures, partout présentes, mêlées aux eaux usées et à l'eau potable émanant des fuites interminables d'un réseau défaillant ?
Les bennes posées par la commune sont soit volées, soit cassées, disent des habitants. Aucune chaussée n'est praticable; la population évolue sur un immense bourbier. Une assistante sociale, ayant requis l'anonymat, nous dira que beaucoup parmi les habitants des chalets souffrent de maladies diverses: asthme, affections dermiques et même certaines formes de cancer. Un jeune père de famille, Tarek, né dans ce baraquement de la honte, témoigne: «Ces chalets ont à l'origine une durée de vie de 10 ans, et on en est à 38 ans; ils sont totalement insalubres; j'ai 3 enfants, et ils ont tous des allergies; moi-même je suis malade, et mes voisins ne sont guère mieux lotis.»
Selon le chef de secteur, les occupants des chalets bénéficieront bientôt de 700 000 DA et autre crédit bancaire pour restaurer leurs bâtisses selon un prototype commun, pour ne pas dénaturer le site. Notre interlocuteur déplore que ce secteur ait à gérer 7 cités à la fois, d'un total de 49 000 habitants. «Nous agissons dans une structure d'organisation étroite avec peu de moyens et un budget insuffisant ; nous faisons pourtant beaucoup, mais nous nous heurtons, le plus souvent, au manque de motivation des habitants», regrette-t-il. En matière de santé, la seule salle de soins ferme à 16h. Il n'y a pas de service d'urgence, nous dit l'assistante sociale. «Une personne nécessitant une évacuation rapide à l'hôpital durant la nuit peut toujours crever, car le SAMU ne se déplace pas ici, de plus il y a des agressions», affirme-t-elle.
Enormément de jeunes en déperdition scolaire, ont basculé dans la toxicomanie, nous confie un cadre rencontré à la mairie. Un autre père de famille évoquera le même problème, la déperdition scolaire, et celui du chômage endémique, dont pâtissent la plupart des jeunes. Ces derniers, oisifs, en proie au mal-être, déambulent du matin au soir. «Je n'ai rien, alors je n'hésiterai pas à vendre de la drogue», lâche, provocateur, un jeune à notre intention. Par contre, un autre jeune, Ali, embauché dans le cadre du dispositif Anem, par contrat à durée limitée, révèle, presque implorant: «Je suis payé 12 000 DA, et pourtant je prie pour être définitivement intégré.» Même cas pour Abderrezak, notre guide, un jeune malvoyant, trentenaire. «Je suis courtier à l'état civil, et je ne crains pas les corvées, pourvu que je sois permanisé», espère-t-il. Vous voyez, ironise notre guide, la vie est mortellement belle à El Gammas !
Associations de quartier inopérantes
Selon Abdelkrim Terghenti, chargé des affaires culturelles, sportives et éducatives, il existe 23 associations qui ne sont jamais d'accord entre elles. Le bien-être de la collectivité semble être le dernier de leurs soucis. La pauvreté est partout présente, mais l'incivisme fait rage. Tous adhèrent à la politique de l'assistanat, nous fait comprendre notre interlocuteur, qui relève l'absence d'infrastructures de jeunesse. «Il n'y a rien à ce niveau; le seul complexe sportif que nous avions, a été transformé en bureau pour réceptionner les dossiers de logement», déplore-t-il.
Quelques points positifs sont cependant à relever au milieu de ce marasme. Des jeunes ont participé à des campagnes de reboisement. En été, ils font également des excursions à la mer, initiées par les comités de quartiers. Mais par contre, point de sensibilisation sur le cadre de vie. Les plus nantis, qui ont construit des bâtisses imposantes, mais hideuses en matière de normes urbanistiques, ne bougent pas le petit doigt pour améliorer leur environnement; le seul langage qu'ils comprennent, c'est vendre pour amasser de l'argent, se désolent des laissés-pour-compte.


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