Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » Cette petite phrase d'André Malraux qui remonte à plusieurs années sonne, aujourd'hui, comme une prophétie face à un monde agité, tourmenté, voire conditionné par le fait religieux. Le fait est que, en ce début du 3e millénaire, on convoque l'histoire pour remettre au goût du jour les « croisades », « la guerre sainte » et on exhume, au besoin, la théorie du « choc des civilisations » échafaudée par Samuel Huntington pour imposer une vision bipolaire du monde. Dans ce sillage, tous les coups semblent permis pour attiser les rancœurs et élargir un peu plus le fossé qui sépare invariablement l'Occident du monde islamique, les chrétiens des musulmans, les juifs des musulmans... Au-delà du chaud débat politique sur la religion qui agite la planète en permanence, la création artistique et littéraire est devenue la rampe de lancement des diatribes et d'anathème et d'une sorte de guerre des religions. Les communautés musulmanes, juives et chrétiennes ont été toutes choquées de voir leurs croyances blasphémées, diffamées, voire insultées au nom de la liberté de création, de la liberté tout court. Il convient cependant de noter que la religion musulmane est devenue la cible de prédilection des artistes de tout poil en raison sans doute de la conjoncture marquée par la montée des extrémismes autour du fantôme de Ben Laden. Avant ces caricatures du journal danois, bien des blasphèmes ont été commis contre les trois religions monothéistes. Les hostilités furent ouvertes en 1989 par Salman Rushdie avec son roman scandale Versets sataniques, qui, par son contenu blasphématoire, avait fait se soulever toute la communauté musulmane au point où l'ayatollah Khomeiny, premier guide de la révolution islamique d'Iran, avait prononcé une fatwa condamnant à mort le romancier indien. Presque la même année, le cinéaste américain Martin Scorcese a failli lui aussi être lynché par la communauté catholique après la sortie de son film The last temptation of christ (La dernière tentation du christ). Garaudy, Scorcese et Rushdie Plusieurs salles de cinéma furent incendiées aux Etats-Unis et en Europe pour protester contre cette œuvre cinématographique qui présentait le christ sous un aspect réducteur d'un « humain » avec ces tares et ses avares. Si Rushdie et Scorcese ont heurté chacun les sensibilités des musulmans pour le premier et celle des chrétiens pour le second, Mel Gibson, lui, a déclenché une polémique entre juifs et chrétiens en 2004. Son film The passion of christ (La passion du christ) dans lequel il montrait des juifs qui s'acharnaient sur Jésus de Nazareth a failli mettre le feu aux poudres. Ce crime de « lèse-juifs » a eu raison de la belle œuvre du cinéaste reléguée au box-office américain, malgré son inspiration littérale des quatre évangiles grâce à la pression du lobby juif. Mel Gibson avait beau expliquer qu'il n'avait rien inventé dans l'histoire, la sentence est tout même tombée. Le religieux est une chose trop sérieuse, trop sensible pour la laisser à la manipulation des artistes. Pourtant, Salman Rushdie a trouvé en les pays occidentaux des défenseurs inespérés de la liberté d'expression, tout comme les responsables du journal danois du reste. Tandis que Martin Scorcese et Mel Gibson ont été contraints de subir la loi du marché... Le constat vaut également pour le philosophe français Roger Garaudy qui a « osé » en 1996 remettre en cause le fameux « holocauste » dans son livre Les mythes fondateurs de la politique israélienne. Bien que son pamphlet n'ait pas ciblé spécialement le judaïsme comme religion, mais simplement un fait de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, l'auteur a été condamné, le 17 février 1998, par la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour un chapelet de chefs d'inculpation : « diffamation raciale », « contestation de crimes contre l'humanité ». Roger Garaudy a été également condamné à 120 000 francs d'amende et à verser des dommages et intérêts aux organisations juives : la Licra, le Mrap et les associations de déportés. Pis encore, même le plus aimé des Français, l'abbé Pierre, est passé à la trappe pour avoir osé, lui aussi, soutenir son ami Garaudy contre l'acharnement médiatique. Acculé par la pression, le vieil homme a dû faire son mea culpa après avoir subi une excommunication en bonne et due forme. Pour Roger Garaudy, il n'était donc pas question de faire valoir l'argument de la liberté d'expression. Il y a sans doute une perception à deux vitesses de cette liberté qu'on agite tantôt et qu'on condamne tantôt. C'est peut-être à ce niveau que se situe l'antagonisme, le choc. La religion doit être sacrée partout et en tout lieu ou ne sera pas. Les réaction épidermiques, parfois violentes, qu'on observe après chaque blasphème, suggèrent un seul message : touche pas à ma religion ! Qu'ils soient musulmans, chrétiens, juifs, agnostiques, bouddhistes ou shintoïstes, la perception de la foi religieuse est partout la même. Diffamer une religion équivaut nécessairement à blesser ses fidèles. Karl Marx n'a pas eu tout à fait tort de déclarer que la « religion est l'opium des peuples ». A l'heure où l'on prêche le dialogue des religions, on assiste plutôt à la résurgence de la guerre des religions.