Les soulèvements survenus dans le Monde arabe ont emprunté des trajectoires différentes et se sont soldés par des scénarios quasiment identiques, à savoir la victoire aux élections législatives de partis se réclamant de l'obédience islamiste. «Le terme de révolution qu'on leur a collé convient-il à tous les soulèvements ? Les péripéties donnent-elles des indications sur leur nature et leur destin ?» Ces questions ont été abordées, dimanche dernier, à l'Institut français d'Algérie par la chercheure tunisienne Sophie Bessis. «Le Monde arabe a été secoué par une série de soulèvements tout au long de l'année 2011. Parti de Tunisie, ce véritable séisme est en train de changer la physionomie de la région et ses rapports avec le reste du monde», a affirmé, pour introduire le débat, Sophie Bessis, qui est également membre, en Tunisie, de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, la transition démocratique et la réforme politique. L'invitée de l'ex-Centre culturel français (CCF) est longuement revenue sur la chronologie des événements, à parti de décembre 2010, le jour où le jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, a décidé de s'immoler. «Le changement de régime en Tunisie, en Egypte et en Libye, ne s'arrêtera pas à ces pays», selon la conférencière. «Il est certain que la dictature de Bachar Al Assad va tomber», indique-t-elle. Dans le même sillage, elle réfute la thèse de la particularité algérienne : «L'Algérie n'est pas une exception», estime-t-elle, sans toutefois argumenter. Dans la foulée, elle rejette la théorie du complot : «S'il y a eu une ingérence étrangère, elle n'est que secondaire. Les révoltes ont éclaté parce qu'il y avait un vrai mal social.» Sur ce registre, Sophie Bessis explique que des traits communs caractérisent les régimes dictatoriaux arabes : «Une glaciation dictatoriale qu'a connue cette partie du monde, des régimes sûrs de leur pérennité et de plus en plus corrompus… Prédation, clientélisme, ces systèmes d'oppression se croyaient inamovibles. Au sein de ces régimes, la redistribution de la rente était limitée à des réseaux clientélistes, à la différence des pays du Golfe où l'argent du pétrole a transformé les autochtones en notables (ils sont moins nombreux que les émigrés).» Depuis les années 1970, explique Sophie Bessis, «la contestation politique était d'essence islamiste. Les manifestations sociales ont toujours existé, mais ont été rapidement réprimées. Après les attentats du 11 septembre 2001, les régimes ont trouvé là une aubaine pour légitimer leurs exactions, car ils avaient un argument pour mater les contestations sociales pacifiques et, de surcroît, ils étaient alliés aux Etats-Unis dans la traque du terrorisme». La conférencière précise que «le recul n'existe pas encore pour dire s'il y a eu vraiment des révolutions, des faits révolutionnaires, ou si nous assistons maintenant à des contre-révolutions». Elle ajoute, dans ce sens, qu'«à l'issue de ces révoltes, on peut dire que rien ne sera plus comme avant. Il y a des expériences nouvelles qui sont en train de naître, qu'elles soient démocratiques ou pas». Par ailleurs, s'agissant du financement des partis islamistes, Sophie Bessis affirme que «l'Arabie Saoudite et le Qatar, qui sont en concurrence sur le plan régional, entretiennent respectivement les salafistes et l'internationale des Frères musulmans, ceci pour éviter la contagion démocratique qui bouleverserait leur trône». «Idéologiquement, poursuit-elle, ils veulent, avec le soutien des Etats-Unis, faire obstacle à l'axe chiite représenté par l'Iran.» Enfin, il existe une dernière donne à ne pas occulter ; Sophie Bessis estime que «l'Etat d'Israël, notamment la droite annexionniste qui gouverne, avait tout intérêt au maintien des dictatures arabes. Maintenant, le gouvernement israélien va utiliser la victoire des islamistes comme une menace sur sa sécurité et ce, pour se militariser davantage».