En Tunisie, les blogueurs et tous les libéraux, démocrates et autres progressistes qui ont été les chevilles ouvrières de la révolte populaire ayant déboulonné le régime dictatorial et corrompu de Zine El Abidin Ben Ali, n'en reviennent pas des résultats du premier scrutin-clef organisé dans le pays après le triomphe de la « révolution du jasmin ». Ils sont douchés et ébranlés dans leurs certitudes par la victoire incontestée et incontestable du parti islamiste Ennahda. Une victoire qui a fait dire à une citoyenne que « les urnes ont montré que le peuple n'était pas forcément celui visible sur internet et les plateaux télévisés ». Il ne fait aucun doute que le courant libéral et progressiste tunisien s'est auto-intoxiqué par la croyance que le projet de société prôné par lui est devenu majoritaire dans le pays par le seul fait que « la révolution du jasmin » se soit produite. Ce qui lui a fait commettre l'erreur de mésestimer l'attrait sur la population tunisienne par celui proposé par les islamistes, dont Ennahda est le chef de file. Une auto-intoxication aggravée par la perception optimiste que l'on a développée en Occident sur le caractère « réfractaire » de la société tunisienne à l'islamisme politique et ses sirènes. Au final, libéraux et démocrates tunisiens ont commis la faute de ne pas s'unir pour empêcher le parti islamiste de rafler la mise. Un front libéral et démocrate en mesure d'éviter que la formation islamiste engrange le spectaculaire résultat qui est le sien. Les perdants du scrutin découvrent avec amertume qu'il y a loin du rêve qu'ils ont nourri dans le vent de la « révolution du jasmin » et les faits tels qu'ils ressortent du premier scrutin transparent et régulier, et donc inattaquable, que son triomphe à rendu possible. Il n'y a pas qu'en Tunisie que le courant libéral et moderniste se retrouve piégé par la révolution victorieuse. En Libye aussi, il assiste, impuissant, à la confiscation de la révolte populaire par les islamistes. Et le même scénario s'est mis en place en Egypte. Et contrairement à ce qu'on a pensé dans ce courant en ces trois pays et parmi ceux d'ailleurs qui ont fait foi à ses analyses et conclusions, les puissances occidentales, censées prêcher la démocratie et le droit des libertés civiles et de conscience, ne sont pas surprises par la tournure prise par les évènements et ne feront rien pour en infléchir le cours. Les démocrates arabes sont le « dindon de la farce ». Dans leurs politiques à l'égard du monde arabe, les Occidentaux les ont certes encouragés à contester leurs régimes antidémocratiques en place, mais sans plus. En réalité, leur stratégie consiste à s'appuyer sur des pouvoirs autoritaires. Que des autocraties islamistes remplacent des autocraties « laïques » dans le monde arabe, cela ne pose pas problème aux concepteurs de cette stratégie. Le fondamental étant que les unes ou les autres appliquent scrupuleusement la feuille de route qu'ils leur ont assignée. Les islamistes qui arrivent au pouvoir à la faveur des révolutions qui secouent ce monde arabe ont parfaitement admis et accepté les règles du jeu imposées par l'Occident. Il pourront gouverner par la chariaa, avoir une gouvernance rétrograde dans leurs pays, mais seront totalement soumis aux injonctions occidentales concernant la préservation des intérêts géopolitiques et économiques des Occidentaux. Voilà à quoi visait en son but ultime le fameux projet du Grand Moyen-Orient. Maintenir cette région sous la dépendance occidentale, quelle que soit l'obédience de ceux qui la gouvernent. Sauf s'ils sont sincèrement libéraux et démocrates et donc désireux de gérer leurs pays dans le respect de la volonté souveraine de leurs peuples.