L'actualité immédiate (référence à la victoire électorale du Hamas en Palestine) vient braquer le problème religieux sur une situation politique, a-t-il été affirmé en introduction à la conférence de George Corm, intellectuel et ancien ministre des Finances libanais, lundi soir au Centre d'accueil de la presse étrangère à Paris. « Quand j'entends dire que Hamas va interrompre le processus de paix, je me dis de quel processus de paix parle-t-on ? Il y a une logique perverse. Demander au Hamas de déposer les armes en échange de quoi ? Il y a un processus de colonisation », soutient le conférencier. Et aussi : « On ne peut pas mélanger à toutes les sauces le religieux. » « Une occupation, c'est du colonialisme. C'est quoi les colonies de peuplement en Palestine ? C'est quoi l'occupation de l'Irak ? » Et de constater que « la peur des mots est effrayante et tant que les laïcs auront peur des mots, la fierté nationale continuera à être aux mains des islamistes. Ces derniers ne se battent pas pour le religieux ». « Il faut redevenir sérieux dans la qualification des faits internationaux. Le blabla sur le dialogue des civilisations nous empêche de parler des vrais problèmes internationaux. » En juin 2001, quelques mois avant les attentats de New York, l'intellectuel libanais donnait au même endroit (le CAPE) une conférence sous le titre « Méditerranée, espace de conflit, espace de regain du colonialisme dans la Méditerranée orientale ». Cette réflexion, affirme le conférencier, avait nourri son ouvrage Orient Occident, fracture imaginaire qui a débouché sur le dernier ouvrage La question religieuse au 21e siècle. George Corm relève que « les imaginaires des deux côtés de la Méditerranée se sont tellement remplis de stéréotypes qu'on étouffe. L'identité religieuse accapare les discussions de salon, cela devient un passage obligé pour être entendu ». Ce basculement, selon George Corm, s'est opéré en l'espace de 30 ans. Les années 1970 - 1980 ont été des années-clés. « Terrorisme intellectuel, paralysie de la pensée » « Ceux qui invoquent le retour au religieux font l'impasse de ce que les guerres de religion ont provoqué dans leurs sociétés. » Et d'ajouter : « On assiste à un glissement de vocabulaire, l'Occident cesse d'évoquer ses racines gréco-romaines pour parler de racines judéo-chrétiennes... ». « Dans les sociétés monothéistes, on assiste à une instrumentalisation de plus en plus massive de la religion dans le politique. » L'usage du religieux dans le social est une grande tradition américaine. Les anciens modèles intégrateurs sont en train de s'effondrer sous le coup de la mondialisation, de la marchandisation de la religion (thème vendeur). George Corm relève que même les Nations unies « ont été asservies » à cette vision de la vie politique internationale, soit « l'idéologie de la globalisation ». Il cite le rapport du secrétaire général des Nations unies, en septembre 2005 devant l'Assemblée générale sur la réforme de l'institution onusienne, qui reprend à son compte cette vision américaine d'un ennemi unique, « le terrorisme transnational » (par lequel il faut comprendre islamique). « Républicains de tous les pays unissez-vous, cessez de vous polariser sur des problèmes secondaires, j'ai envie de dire, car on n'est pas près de sortir de la situation actuelle. » Et aussi qu'« il faille un dialogue entre les trois théologies, c'est urgent. L'Islam est un monothéisme qui a un patrimoine extraordinaire, il a aidé aux germes de la modernité. Il est temps de l'intégrer dans le monothéisme. A quel titre l'en exclure ? Le Coran pose au judaïsme et au christianisme des questions graves qui n'ont pas de réponses. La vision binaire du monde est inacceptable. C'est du terrorisme intellectuel, une paralysie de la pensée. Il faut repenser l'universel non pas en niant le religieux, mais en aidant à la lecture des grands textes. » L'Islam est-il compatible avec la laïcité ? Incontournable question. « L'analyse de l'Islam est prisonnière d'une problématique occidentale, celle de la séparation du temporel et du religieux. Il n'y a jamais eu deux pouvoirs en Islam. Le pouvoir civil est, dans tous les pays musulmans, entre les mains de civils, même en Arabie Saoudite, à l'exception de l'Iran. Le problème n'est pas celui-ci. » « L'Islam global et total, c'est un mythe ». « La religion n'est qu'un élément de l'identité et non l'élément exclusif. La problématique de l'Islam, c'est l'interprétation du texte coranique ». Et de dire : « Cette interférence occidentale nous empêche de mener la vraie bataille, celle des idées. »