Guerre froide ou guerre chaude au Moyen-Orient » a été le thème de la conférence animée, avant-hier soir à l'hôtel Aurassi d'Alger par Georges Corm, ancien ministre libanais et politologue, sur invitation de l'ANEP. D'emblée, l'intellectuel auteur du Proche-Orient éclaté, a prévenu que le concept de « dialogue des civilisations » est un « piège, un prétexte pour se détourner des objetifs essentiels » visant à faire glisser la question de l'occupation des territoires arabes sur le terrain de la religion, et constitue un « habillage idéologique » de la volonté hégémonique des Etats-Unis. « Est-ce que l'occupation de la Palestine, de l'Irak, du Golan syrien ou l'agression contre le Liban cet été a une relation quelconque avec un prétendu choc des civilisations ? Non. C'est la manifestation pure et simple de la volonté hégémonique des Etats-Unis », a affirmé M. Corm. Pour l'ancien ministre des Finances libanais, « glisser sur le terrain de la religion fait le jeu des Israéliens, qui disent au monde : regardez ! Les Arabes nous haïssent et nous combattent parce que nous sommes juifs ». « C'est un piège entretenu par les médias occidentaux. Je suis sûr que les planificateurs du Pentagone ne croient pas à la thèse du choc des civilisations. Ils y voient seulement un habillage utile pour faire accepter à leur opinion publique leur politique au Moyen-Orient, en entretenant la peur par des termes comme « fascisme islamique » ou « terrorisme islamique », a-t-il appuyé. « On nous impose des problématiques de l'extérieur de notre aire civilisationnelle et de nos préoccupations actuelles », s'est insurgé Georges Corm, ajoutant que « la laïcité n'est pas une problématique de l'Islam mais plutôt du catholicisme ». « Posons-nous par exemple la problématique essentielle : l'exégèse des textes », a-t-il appuyé. M. Corm a fait un parallèle entre la « propagande occidentale » diabolisant les « Bolcheviques », les communistes et l'Union soviétique du temps de la guerre froide, avec « la nouvelle guerre froide d'aujourd'hui au Moyen-Orient, où l'ennemi est le soi-disant terrorisme islamique ». L'autre parallèle à faire, selon lui, est entre le concept de « cohabitation pacifique » de l'ancienne guerre froide et le prétendu concept de « dialogue des civilisations ». Georges Corm, qui se réclame de la minorité des intellectuels nationalistes arabes - face au bloc des penseurs pro-hégémonie US - a déploré les « divisions dans le monde arabe, notamment entre sunnites et chiites » entretenues notamment par « certains responsables et médias arabes », a-t-il dit. Appréhensions A ses yeux, la question principale reste « l'occupation de nos terres ». « Même si les forces d'occupation étaient bouddhistes ou hindouistes, nous les combattrions avec la même force », a assuré M. Corm rendant hommage à « la résistance héroïque du Hezbollah ». Il a ajouté que le Hezbollah a infligé, cet été, une défaite militaire à Israël, « ce que n'a pas réussi à faire aucune armée arabe durant 60 ans ». Selon lui, « pour la première fois depuis l'ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser, on voit dans le monde arabe, en la personne du chef du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, un leader charismatique, réaliste, rassembleur, d'une humilité qui fait tant défaut à certains dirigeants, c'est un homme qui a donné de l'espoir à tous les Arabes ». Mais il a nuancé son constat se disant attristé et inquiet par les suites données à la victoire du Hezbollah qui « risque de se transformer en une défaite politique, à cause des dissensions entre les Arabes et les Libanais aussi ». Pour Corm, la place prépondérante de l'Iran actuellement est née du déficit arabe en matière de positionnement. Il n'a pas caché ses appréhensions quant au risque de voir la région du Moyen-Orient devenir « le foyer d'où partira l'étincelle de la troisième guerre mondiale, qui opposera l'Iran, la Chine et la Russie, d'un côté, et les Etats-Unis, l'Europe, et certains pays arabes qui se croiront obligés de suivre les Américains, de l'autre ». Il a avancé, à l'appui de son scénario, le déploiement militaire américain depuis le 11 septembre 2001, notamment dans le détroit d'Ormuz face à l'Iran et les anciennes républiques soviétiques (Ukraine, Géorgie, etc.) et qui vise à ses yeux « l'encerclement de la Chine, de l'Iran et de la Russie ». M. Corm a prédit que « les Etats-Unis finiront par se retourner contre leurs alliés arabes, comme ils l'ont fait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale contre leur ancien allié russe qui a pris une part essentielle dans la défaite de l'Allemagne nazie ». La sortie de crise ? Une « deuxième renaissance (nahdha) arabe » pour « sortir de la dynamique de l'échec dans laquelle est tombé le monde arabe » et recouvrir une « arabité ouverte qui assume les différences » loin de l'arabité monolithique des décennies écoulées. « Nous avons des droits et il est temps de les recouvrer », a-t-il martelé en conclusion. L'ANEP a prévu de poursuivre son cycle de conférences une fois par mois.