Humiliation, déshonneur, catastrophe sont les mots qui reviennent dans la bouche des Algériens. Les discours convergent vers un point : la violence n'est pas une solution à l'offense faite aux musulmans. Beaucoup expliquent que la violence est le fait de la faiblesse politique des pays musulmans. Certains dénoncent l'amalgame entre terrorisme et Islam, tandis que d'autres exigent le pardon public des Danois. D'autres déplorent qu'on incrimine le Danemark tout entier. Chacun se prononce sur sa participation au sit-in, à l'appel du MSP, prévu demain à Alger. Chafik et Hakim, la trentaine chacun, assis à la terrasse d'un café, estiment que ce dessin de mauvais goût alimente la confusion médiatique : « Nous sommes évidemment contre les caricatures, mais ce chaos a provoqué l'amalgame : manifester ne servirait pas la cause des musulmans d'Algérie. Il faut réagir avec sagesse, comme l'aurait voulu notre Prophète. » Chafik explique que la violence des réactions dans le reste du monde vient du fait que « nous sommes des pays faibles ; c'est la seule manière de manifester le mécontentement ». A propos de la détermination des autorités danoises de ne pas demander de pardon : « C'est normal qu'elles ne demandent pas pardon, c'est un journal privé indépendant. Cependant, même si c'est un pays libre, il faut respecter certaines limites. C'est le journal qui doit présenter des excuses solennelles et franches ; mais le gouvernement et le Premier ministre n'ont pas à le faire. Cette caricature ne sert à rien. J'ai vu les dessins sur internet : professionnellement, le dessin est nul ; ça ne vaut pas le coup d'envenimer les choses. » Néanmoins, la médiocrité du dessin témoigne, selon lui, d'« une méconnaissance flagrante du monde musulman. Les Danois ne doivent même pas savoir où se trouve l'Algérie, comment peuvent-ils savoir ce qui est important ou non pour les musulmans ? » « L'offense est de la même teneur que lors du 11 septembre, où on a assimilé les musulmans à des terroristes », commente Karim. « Il faut surtout transmettre une image positive de l'Islam ; brûler des drapeaux ne sert à rien quand il s'agit de l'erreur d'un seul journaliste ; on ne peut pas incriminer tout un peuple. » Reda, Nassim, Malek et Hamza, à la sortie du lycée El Idrissi, à Alger, ont 18 ans. Ils sont visiblement peu au fait de l'affaire. L'un d'entre eux tente de lancer un « si je croise un Danois, je le tue ! ». Plaisanterie, bien sûr. Plus sérieusement, certains tempèrent l'ardeur du copain : « Il faut expliquer aux Européens pourquoi c'est important pour nous. » Nassera, femme au foyer, attend le bus. « Il ne faut pas jouer avec la religion, chacun a sa religion et il faut la respecter ; une manifestation servirait à demander haut et fort le pardon à ceux qui nous ont offensés ; c'est le signe que l'Europe ne nous respecte plus en tant que musulmans. » Karima, la trentaine, estime que c'est un affront de l'Europe, une agression programmée : « On dirait qu'offenser les musulmans est un but pour les Européens. Ils le font sous forme de guerre psychologique. » « Je vais participer à la marche de demain (organisée par le MSP, ndlr) pour montrer aux TV du monde que l'on est contre cette insulte. » Fatah, à l'entrée d'un parking, ne se sent pas concerné : « Personnellement, je ne suis pas pratiquant et cette histoire ne me concerne pas, j'ai reçu des messages pour boycotter les produits danois, mais ma priorité c'est d'abord manger, danois ou pas danois. » « Il y a des problèmes plus importants ; parlons d'abord des problèmes d'eau dans notre pays avant de parler de Mohamed. » Omar ajoute que « c'est la presse qui est responsable ; pas les Danois ».