La Tunisie tolérante, ouverte sur le monde, va-t-elle sombrer à son tour dans l'obscurantisme ? Lorsque le peuple de ce pays voisin avait fait sa révolution, c'était pour la liberté, la démocratie et la modernité. La société civile a donné au reste du Monde arabe une belle leçon avec ses capacités de mobilisation, sa résistance, au point que Mohamed Bouazizi, ce jeune qui s'est immolé à Sidi Bouzid, donnant ainsi le feu vert à la révolte, est devenu le symbole et le martyr de toute la jeunesse arabe. Les Tunisiens ont réussi à chasser du pouvoir le couple de voleurs formé par Zine El Abidine Ben Ali et sa femme Leïla Trabelsi. Malheureusement, il va falloir déchanter rapidement. Les islamistes, jusque-là tapis dans l'ombre et qui n'ont participé ni de loin ni de près à la révolution démocratique, commencent à se manifester et à investir l'espace public. Ils confisqueront la victoire du peuple lors d'élections législatives au cours desquelles le Qatar a joué le rôle du principal bailleur de fonds au profit des salafistes, selon des opposants tunisiens. Ils sont aujourd'hui majoritaires au sein de l'Assemblée constituante. Ce succès leur a donné des ailes. Ils ont cherché, par exemple, à imposer leurs lois et leurs tenues vestimentaires, dans les enceintes universitaires notamment. Plus grave encore, un prêcheur radical égyptien est en train d'effectuer une tournée à travers le pays où il développe un discours des plus sinistres qui devra renvoyer la Tunisie à la djahilia, allant jusqu'à prôner l'excision des femmes. Le plus grave dans cette affaire est que le parti Ennahda, du «modéré» Rached Ghannouchi, qui dirige le gouvernement, n'y trouve rien à redire. Un silence qui s'apparente à un encouragement à l'entrisme des salafistes. Il y a de quoi craindre pour l'avenir de la démocratie et des libertés dans ce pays. Mohamed Moncef Marzouki, en acceptant de diriger la période de transition, risque d'être le complice involontaire des intégristes s'il ne se démarque pas rapidement. Il pourrait même être dans la situation de Beni Sadr, ce président iranien qui a soutenu la révolution islamiste mais qui a dû fuir dare-dare son pays pour éviter la potence que lui préparaient les mollahs. La situation n'est pas pour autant dramatique. Il faut faire confiance à la société civile tunisienne, qui reste vigilante et qui n'hésite pas à se mobiliser pour contrer la menace.