Devant le manque de rigueur dans l'application de la réglementation en matière de protection des travailleurs et la montée en force du secteur privé, le travail informel prend des proportions importantes dans la wilaya de Tizi Ouzou. La crise vécue dans la région ces dernières années a aggravé la situation. Tous les constats aboutissent à un état des lieux critique. En fait, le travailleur du secteur privé ne jouit de la protection sociale que dans les quelques entreprises ayant atteint un certain stade de structuration et qui affichent l'ambition de s'inscrire dans le temps. A Tizi Ouzou, la CNAS est catégorique. Sur 380 000 assurés sociaux, on recense moins de 100 000 salariés, dont une majeure partie vient du secteur public. Ce qui indique que le taux des salariés du secteur privé déclarés est très faible. Sur le terrain, les employés clandestins travaillent dans des conditions lamentables. Hamid, un jeune de 28 ans, opérateur sur machine dans une fabrique d'articles de mercerie dans la périphérie de Tizi Ouzou, raconte : « J'ai commencé à travailler ici depuis 5 ans. Notre patron ne dispose même pas de registre de commerce. Lorsqu'il y a deux ans, les services des impôts l'ont sanctionné, il a décidé de nous faire travailler la nuit. A partir de 18 h, aucun représentant de l'Etat ne peut s'aventurer dans cette zone isolée. » Dans cette fabrique, 12 employés se mettent à l'œuvre chaque soir pour travailler jusqu'à 2 h pour un salaire mensuel de 10 000 DA sans aucune couverture sociale. Ici, les accidents de travail sont fréquents. « Lorsqu'un ouvrier se fait blesser, le patron le soigne et lui achète des médicaments de sa poche sans le déclarer comme accident de travail », dira Hamid. Pour les augmentations de salaire, Hamid se rappelle : « Le mois passé, un collègue de travail a osé parler de l'augmentation et une semaine après il a eu son compte et invité à quitter les lieux ». Les petites fabriques à l'index Dans la région, des centaines de jeunes travaillent dans des conditions similaires. A la Caisse nationale des assurances sociales (CNAS), on laisse entendre que le problème se pose à deux niveaux. D'une part, il y a le travail informel où l'employeur fait travailler des gens clandestinement d'autre part, il y a la sous-déclaration, c'est-à-dire, les cas où l'employeur déclare un salaire inférieur à celui perçu par son employé. Pour ce deuxième cas, un responsable de la CNAS citera l'exemple d'un entrepreneur qui est venu déclarer son conducteur d'engin pour un salaire de 11 000 DA, alors qu'on sait que les conducteurs touchent au minimum 30 000 DA. Au registre des secteurs d'activité les plus touchés par le travail informel, on recense les services (les cafés maures, les transports, les cabinets de professions libérales...), les textiles ou les ateliers de confection et le bâtiment. A Tizi Ouzou, la Caisse d'assurance fait état de plusieurs contraintes qui ne favorisent pas les missions d'inspection, en premier lieu, le caractère rural de la wilaya qui empêche les inspecteurs de contrôler les régions éloignées. Le deuxième élément est la fausse domiciliation des entreprises. Plusieurs employeurs opèrent dans des locaux autres que ceux qu'ils déclarent à l'administration. Enfin, à la CNAS, on regrette le nouveau comportement engendré par les événements vécus par la Kabylie. « Ces quatre dernières années, certains employeurs font mine de ne pas reconnaître la loi », dira un inspecteur de cet organisme. L'inspection régionale du travail de Tizi Ouzou rassure sur l'accélération de la lutte contre le travail informel avec les nouvelles prérogatives qu'accorde la loi du 10 novembre 2004 à l'inspecteur du travail. « Cette loi élargit les pouvoirs de l'inspecteur qui, désormais, peut décider des sanctions à l'encontre des employeurs contrevenants », dira M. Rabhi, inspecteur régional, en insistant sur le fait que « le travail informel n'est pas spécifique à la région ». Pour mieux faire aboutir sa mission, « l'inspection ne se contente pas de sanctionner mais aussi elle tente de sensibiliser les employeurs et les inciter à procéder d'eux-mêmes à régulariser leurs ouvriers », ajoute M. Rabhi avant de conclure : « C'est le chômage qui fait que les gens acceptent de travailler dans des conditions lamentables ».