Il y a peu, une offre publique d'achat (OPA) dite « hostile » visant le numéro deux sidérurgique mondial Arcelor jetait l'émoi en Europe. En vérité, ce sont moins les 18,5 milliards de dollars mis sur la table pour cette acquisition que l'origine « géographique » de l'OPA qui a servi à crisper le nationalisme économique euro-français et à ébranler les places financières internationales. En effet, elle a été l'œuvre d'un groupe sidérurgique indien mené par son patron Lakshmi Niwas Mittal, petit-fils d'un ferrailleur de Bombay et actuellement troisième fortune mondiale. Après le parfumeur Marionnaud (racheté par un groupe chinois) et la domination de Thomson électronique par les Malaisiens, c'est quelque part l'érosion du pouvoir capitalistique de la vieille Europe qui s'affirme au profit de pays émergents précédemment affublés du vocable de pays sous-développés. La civilisation traditionnelle manufacturière du Nord commence donc, même si c'est un timide début, à changer de main grâce à des décisions stratégiques et rapides issues de groupes industriels des pays du Sud. Aujourd'hui, ils sont Indiens, Chinois, Turcs, Brésiliens ou Malaisiens. Demain, ce sera peut-être au tour des Sud-Africains, des Argentins, des Philippins, des Nigérians ou des Mexicains de venir battre en brèche l'hégémonisme économique des pays occidentaux. En parallèle à l'intrusion des entreprises des pays émergents dans le tissu industriel euro-américain, la coopération Sud-Sud est également une réalité à capitaliser durablement puisque le volume d'échanges horizontal de biens et services a été pratiquement multiplié par vingt en l'espace de dix ans. Le boom industriel de la Chine et le savoir-faire reconnu de l'Inde ont mis le doigt dans la plaie : l'Europe industrielle a perdu de sa superbe sous les coups de boutoir des pays émergents (produits manufacturiers, acier, automobile, médicament, etc.). Ce qui veut dire que les rapports internationaux évoluent dans le sens du changement. Ce qui n'était qu'un vœu pieux (dialogue Nord-Sud et coopération Sud-Sud) dans les années pures et dures du tiers-mondisme se départit progressivement de son apparat politique et idéologique pour se placer sur le terrain de la real économie. Les pays du Sud, condamnés à entreprendre ou disparaître, ont fait, pour nombre d'entre eux au cours de la dernière décennie, des efforts notables ponctués de résultats satisfaisants en matière de percée de produits qualitativement corrects à des prix imbattables sur les marchés européens et nord-américains. Cette percée est d'autant plus méritoire qu'elle se fait au grand dam des dispositifs protectionnistes locaux (quotas pour le textile chinois et produits agricoles subventionnés). Reste pour eux à se placer dans les grandes institutions pour mieux défendre leurs intérêts dans un système financier international conçu par les pays occidentaux pour servir essentiellement leurs économies dominantes.