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«Une politique de relance qui ne peut créer que des emplois non permanents» Nacer Eddine Hammouda. Statisticien-économiste, directeur de recherche au Cread
-Concevoir une politique de l'emploi est l'affaire du gouvernement. Certains experts disent qu'une telle politique n'existe même pas. Quel est votre avis ? L'emploi est intégré dans une politique économique et de relance. La politique de l'emploi est une partie de la politique économique. Si vous prenez le cas des grands travaux, derrière, il y a de l'emploi qui est créé. D'ailleurs, quand vous allez voir la part du BTP dans l'emploi de la population active, il a augmenté. Cela veut dire que la relance par le BTP a eu un effet sur l'emploi, mais quel type d'emploi (non qualifié, plutôt masculin, etc.). Ce n'est pas suffisant, je vous l'accorde, mais en terme quantitatif, les chiffres sont là pour montrer que l'emploi dans le BTP a augmenté, mais c'est un secteur où on a beaucoup plus à faire avec du salariat non permanent. On pourrait se demander alors pourquoi l'emploi non permanent ne bénéficie pas de toutes les mesures qui sont gérées par la caisse nationale d'assurance chômage. Dans la mesure où le type de politique de relance que nous avons est basé sur les grands chantiers, ça ne peut créer que des emplois non permanents. Il faudrait voir quelles sont les mesures d'accompagnement pour ce type d'emploi. Comment faire avancer la législation en matière d'assurance chômage pour que ce personnel puisse en bénéficier. Mais on a toujours peur du dévoiement quelque soient les mesures qui sont prises par exemple de voir les gens bénéficier des indemnités de chômage tout en travaillant par ailleurs. Cela renvoie au problème de gestion du monde du travail dans la mesure où il n'y a pas un identifiant. Dans les autres pays, vous êtes identifiés à travers un numéro de sécurité sociale donc vous ne pouvez pas cumuler une indemnité chômage avec un salaire. Jusqu'à quand peut-on continuer à fonctionner de cette manière. Jusque-là, les secteurs porteurs de développement ne suivent pas. Il en est ainsi de l'industrie. La question est de savoir si notre privé est capable d'investir dans des créneaux porteurs, vu la nature des investissements qu'il faut, la technologie qui est nécessaire et la qualification qui va avec. -L'Etat dépense beaucoup d'argent pour créer des emplois, mais on leur reproche leur précarité… Oui, mais on a toujours dit que l'emploi incombe aux entreprises. A la faveur de dispositif de façon résiduel, pour des périodes courtes, l'Etat peut prendre en charge des situations de forte précarité, mais essentiellement, l'emploi productif ne devrait être créé que par l'entreprise. Maintenant, ce qu'il faut se demander en termes de politique, c'est qu'elles sont les incitations, les leviers de commande et sur quels paramètres faut-il jouer pour que les entreprises créent de l'emploi. Par exemple, on annonce la création de millions de logements. Théoriquement, dans les pays où il y a ce qu'on appelle les anticipations rationnelles, cela suppose que dans les matériaux de construction par exemple, le secteur privé devrait investir parce que cela voudrait dire qu'il anticipe une très forte demande et qui dit investissement, dit création d'emplois. Or, chez nous, on ne voit pas ce phénomène, même si la politique de relance est essentiellement portée par le BTP. Finalement, quel type de leviers de commande avons-nous ? On a par exemple les mesures de prise en charge d'une partie des cotisations ; cela reviendrait à dire que le travail coûte très cher, mais ce n'est pas le cas. La part de rémunération du salarié dans la valeur ajoutée est relativement faible quand vous la comparez à d'autres pays. Donc, c'est un faux diagnostic. Le travail ne coûte pas cher et l'on se demande donc si c'est ce type de mesure qu'il y a lieu d'initier pour relancer l'emploi. C'est pour cela que je renvoie dos à dos et les concepteurs des politiques et le secteur privé. -Pensez-vous qu'il en soit capable ? Je ne répondrai pas à cette question. Mais tout le problème est là, on a détruit un secteur public, mais on n'a pas pensé à qui devrait prendre la relève. On est en train de se désindustrialiser sans qu'il y ait d'alternative. On a fait peut-être un choix malheureux. Fallait-il opter pour une nouvelle classe de capitalistes privés ou pour une classe de managers parce que le problème du secteur public était surtout un problème de gestion. Peut-être qu'en travaillant autrement et en cherchant une classe de véritables managers qui gèrent au sens propre du terme aurait été préférable. Ce sont des choix qui ont été faits dans les années 1990. On est en pleine période pré-électorale, et il y a lieu à mon avis d'interpeller l'ensemble des partis politiques sur leur programme de relance économique et l'impact sur l'emploi, qu'ils ne disent pas n'importe quoi, mais des choses cohérentes. C'est aux médias de faire en sorte que ce débat ait lieu et d'élever son niveau, afin que ces partis ne se contentent pas de fausses promesses qui ne soient pas étayées ni argumentées et qui ne tiennent pas la route. -Les statistiques officielles parlent d'un taux de chômage de 10% en Algérie. Ce chiffre vous paraît-il refléter la réalité ? Pour le calcul du taux de chômage, il y a une définition internationale qui est l'œuvre des experts de l'OIT qui se mettent d'accord sur des indicateurs qu'ils préconisent pour mesurer et aider à une meilleure connaissance du marché du travail. Mais le taux de chômage n'est pas le seul indicateur si on veut analyser la réalité dans toute sa complexité du marché du travail. Le taux de chômage tel qu'il est calculé en Algérie tient compte de ces définitions. De ce point de vue là, il n'y a rien à dire. On peut le définir autrement, mais à ce moment-là, il y aura un problème de comparabilité entre les pays. L'ONS utilise une enquête pour calculer le chômage. On peut lui reprocher peut-être que la taille de l'échantillon soit faible et que c'est donc moins précis, mais en Afrique du Nord, c'est globalement le même diagnostic qui est fait concernant la situation du marché du travail. Le chômage, ça veut dire qu'une personne n'a pas eu d'activité rémunérée durant la semaine de référence, y compris informel. C'est pour cela qu'on préconise d'introduire d'autres indicateurs sur la mesure du sous-emploi(1) par exemple. Le niveau de chômage est ce qu'il est, mais au niveau de l'emploi, il faudrait peut-être voir la part du sous-emploi, chose qui n'est pas faite actuellement. Par ailleurs, la part de l'emploi non déclaré est de plus en plus importante sur une longue période. L'informel est une réalité. Maintenant, est-ce que c'est un informel spéculatif ou de subsistance, ça c'est une autre question.
(1)-Selon la définition du BIT, on parle de sous-emploi lorsque la durée ou la productivité de l'emploi d'une personne sont inadéquates par rapport à un autre emploi possible que cette personne est disposée à occuper et capable de faire1.