Chaotique depuis la décision du gouvernement d'introduire des peines de prison pour sanctionner le délit de presse et l'incarcération du directeur du quotidien Le Matin, Mohamed Benchicou, les rapports entre la presse et le pouvoir sont bien partis pour connaître une longue période de dégradation. En plus des procès en série qui continuent de pleuvoir à un rythme régulier sur de nombreux titres de la presse privée, cette dégradation pourrait s'expliquer par la « décision inattendue et hallucinante » d'un tribunal d'Alger de placer sous mandat de dépôt les directeurs des hebdomadaires Essafir et Panorama sous le prétexte que leurs titres ont reproduit les caricatures outrageantes du Prophète Mohamed (QSSSL), publiées en septembre dernier par le journal danois Jyllands Posten. Le caractère ahurissant du billet d'écrou signé par la justice avec la célérité de l'éclair à la suite d'une double plainte déposée par le ministère de la Communication réside dans le fait que les responsables des titres mis en cause n'avaient aucunement l'intention de porter atteinte au Prophète. Bien au contraire. Essafir et Panorama, deux journaux connus pour leur proximité avec les milieux islamistes algériens, n'avaient, en effet, à l'idée, en publiant les caricatures du Prophète, que de prouver à leurs lecteurs la nature foncièrement négative et outrageante des dessins du caricaturiste du Jyllands Posten. Le caricaturiste danois avait, rappelle-t-on, usé de raccourcis iniques et insultants pour assimiler les musulmans à des terroristes. Mais dans le cas d'Essafir et de Panorama, les articles qui accompagnent les caricatures reproduites ne laissaient aucun doute quant à l'intention avérée de leurs auteurs de stigmatiser, preuve à l'appui, l'offense faite aux musulmans du monde entier venant du journal Jyllands Posten. Dès lors, l'emprisonnement de Berkane Bouderbala, directeur d'Essafir, et de Kamel Boussad, responsable de la publication de Panorama - deux hebdomadaires qui se distinguent par la publication de suppléments religieux auxquels collaborent des fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses - prend la forme d'une absurdité à la fois délirante et désarmante. Elle est aussi effrayante à plus d'un titre, car elle tend à prouver que le pouvoir tape à l'aveuglette quand il s'agit de la presse. Inexplicable et, surtout, odieuse, la mise sous les verrous de Berkane Bouderbala et Kamel Boussad présente toutes les caractéristiques d'une dérive qui trahit une volonté de mettre au pas la presse et de brider la liberté de parole. Quel gâchis !