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Peintre par les mots
Mouloud Feraoun une vie, une œuvre, un destin
Publié dans El Watan le 17 - 03 - 2012

Cinquante ans après, il demeure une immense référence de la littérature algérienne.
Mouloud Feraoun est une figure incontournable de la littérature algérienne. Sa carrière littéraire fut courte ainsi que sa vie, brutalement interrompue le 15 mars 1962. Ce jour-là, à Ben Aknoun, l'écrivain fut lâchement assassiné par un commando de l'OAS, quatre jours avant la signature des accords d'Evian. Il venait de fêter ses 47 ans une semaine auparavant. Il a été tué avec cinq de ses amis et collègues, Ali Hamoutène, Max Marchand, Salah Ould Aoudia, Robert Eymard et Marcel Basset.
Né un 8 mars 1913, à Tizi Hibel, village de Kabylie, il fut un brillant élève et étudiant. Il avait en effet réussi à entrer à l'Ecole Normale d'Instituteurs de Bouzaréah. Fin connaisseur des belles Lettres et amoureux de la littérature, il est devenu instituteur en Kabylie, puis au Clos Salembier (auj. El Madania) à Alger, où il transmettait son amour du savoir et les principes d'égalité et de tolérance. Son enfance, il l'a racontée dans son roman, devenu un classique que tous les collégiens et lycéens algériens connaissent (est-il encore enseigné ?), Le Fils du pauvre. Dans ce roman semi-autobiographique, Mouloud Feraoun narre l'histoire de Fouroulou avec toutes les péripéties que pouvait vivre un enfant de cette époque, dans un village de montagne aux dures conditions d'existence. C'est la vie contée avec les yeux et la perception d'un enfant, comme en témoigne cet extrait : «Mes tantes travaillaient l'argile et la laine. La courette était toujours encombrée de poterie. Voici, à l'angle, près du portail, un gros tas de bois qui servira à la cuisson. L'argile se travaille dès le printemps. Baya et Khalti vont la chercher dans des paniers, à plusieurs kilomètres du village. Les mottes sèchent au soleil dans la cour, puis elles sont écrasées et réduites en poussière».
Ces quelques lignes éclairent sur le style réaliste et prenant de l'auteur, fondé sur la simplicité et le rythme. Aujourd'hui encore, la lecture de ses œuvres de fiction procure autant de plaisir. Avec des mots de tous les jours, Mouloud Feraoun avait l'art de raconter des histoires et d'entraîner son lecteur dans les méandres des souvenirs et de la mémoire. Cette aptitude lui vient probablement des soirées où sa tante lui racontait des histoires et où son imagination d'enfant s'envolait : «Pendant les récits, nous étions, elle et moi, des êtres à part. Elle savait créer de toutes pièces un domaine imaginaire sur lequel nous régnions. Je devenais arbitre et soutien du pauvre orphelin qui veut épouser une princesse. J'assistais tout puissant au triomphe du petit M'Quidech qui a vaincu l'ogresse… c'est ainsi que j'ai fait la connaissance avec la morale et le rêve». L'enfance de l'art est présente dans ces souvenirs. Mouloud Feraoun tordait ainsi le cou aux préjugés coloniaux qui clamaient que les colonisés n'avaient ni sensibilité ni culture.
Son désir d'écrire était aussi une réponse à Albert Camus avec qui il correspondait. Dans les romans de ce dernier, les personnages algériens étaient absents ou réduits à des silhouettes tandis que Mouloud Feraoun écrivait pour mettre les Algériens au cœur de ses récits et décrire leur existence. C'est ce qui apparaît dans La Terre et le sang et Les Chemins qui montent qui se lisent avec autant d'intérêt que Le Fils du Pauvre et où les thèmes de l'émigration, de l'exil, de la misère des paysans dans les montagnes kabyles sont narrés avec force et vérité. Toute la complexité des sentiments décrits ajoute à l'intérêt des textes.
Fin observateur, Mouloud Feraoun décrit aussi les petitesses de l'être humain telles que la haine, la jalousie, l'envie mais aussi ses grandeurs à travers le partage, la solidarité et la générosité qui animent la vie quotidienne au village malgré la guerre et les affres de l'injustice coloniale. La force des récits et de la narratologie réside dans ce mélange d'histoires individuelles puisées dans le quotidien de l'Algérie colonisée.
Mouloud Feraoun a su dépeindre de manière magistrale les liens qui peuvent lier deux êtres dans un contexte historique particulier, celui de la relation entre la France et l'Algérie durant la colonisation. Ceci apparaît particulièrement à travers le personnage de «Madame», la Française que Amer N'Amer, travailleur émigré, ramène avec lui au village. Le romancier démontre comment le peuple algérien est très ouvert, généreux, tolérant quand les gros colons français ne sont que dans l'exploitation et le rejet de l'Autre. Il a su montrer que l'amour était présent, car la Française qui fuyait une France froide et sectaire, a trouvé l'amour dans le village de son compagnon. Le travailleur émigré était le réconfort et l'humanité. Vivre dans cette Algérie profonde, s'adapter avec aisance à la vie du village kabyle d'Ighil Nezman, est décrit avec une précision et une justesse surprenantes de la part de l'artiste littéraire qu'était Mouloud Feraoun.
Malgré de nombreuses critiques qui cataloguent Mouloud Feraoun comme écrivain «ethnologique», force est de constater qu'il a su transmettre l'amour du pays, l'amour des siens, l'amour de la justice et de la tolérance avec une grande authenticité. Tout ce que désirait Mouloud Feraoun, c'était «la reconnaissance du droit à vivre» du droit à l'instruction et au progrès, du «droit d'être libre», comme il l'a clamé en 1956. Son discours est loin d'être ambigu vis-à-vis du colonialisme en tant que système. Il a toujours appelé à la guérison des «souffreteux», comme il l'écrit dans une des lettres publiées dans son Journal. Il avait dénoncé le plan machiavélique de la terre brûlée poursuivi par l'OAS qui faisait tout pour laisser des ruines derrière elle et détruire ce qui pouvait aider au rapprochement et à la connaissance mutuelle, une fois l'indépendance recouvrée. L'OAS voulait assassiner tous les cadres et les têtes pensantes de l'Algérie à la veille de l'indépendance. C'est dans ce cadre que l'organisation criminelle a brûlé la Bibliothèque de l'Université d'Alger. Mouloud Feraoun qui était hanté par la mort, si présente dans ses romans, a reçu douze balles dans le corps, comme le rappelle son fils.


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