- Dans son dernier communiqué annonçant les mesures du gouvernement contre l'envolée des prix des produits de première nécessité, nous avons eu comme impression que le gouvernement recule face à l'informel. Pensez-vous que ce fléau est devenu, tout compte fait, une fatalité pour l'économie algérienne ? Il faut expliquer, tout d'abord, qu'est considéré informel tout commerce exercé sans déclaration, sans tenue de comptabilité ou sans paiement d'impôts. Ce sont des activités d'utilité économique et sociale qui se développent en dehors des structures institutionnelles classiques que sont les entreprises ou les administrations par exemple, et à l'écart des règles de l'échange monétaire. Ceci dit, nous devons rappeler que le commerce informel n'est pas le propre des économies sous-développées mais existe dans toutes les économies surtout celles qui sont peu bancarisées. Il ne serait pas une fatalité tant des possibilités d'action, pour sa réduction ou sa limitation à une place marginale, est possible. Selon le BIT, la norme est que le commerce informel soit réduit à 2 ou 3% du PIB dans une économie. En Algérie, ce niveau est largement dépassé et est même inquiétant dans quelques branches et secteurs d'activités, à l'instar de la production et distribution des fruits et légumes ainsi que la confection et du prêt-à-porter. Il est vrai que son poids est devenu significatif et sa résolution serait difficile. Effectivement, en prenant la voie de la facilité pour ramener rapidement le calme, le gouvernement a cru bon de rassurer qu'il ne s'attaquerait pas à l'informel et, pire, a pris, lors du conseil interministériel du 8 janvier 2011, une mesure qui constitue une manœuvre dangereuse qui légalise l'informel. Ainsi, il est rappelé «qu'il est interdit à quelque opérateur économique que ce soit de se substituer aux pouvoirs publics dans l'imposition de procédures ou de délais excessifs pour fournir les grossistes distributeurs, notamment lorsqu'il s'agit de produits de base. Ainsi, les grossistes n'auront à présenter au producteur ni une documentation nouvelle ni à procéder au règlement de leurs commandes par chèque, cette dernière mesure ne devenant obligatoire qu'à la fin du mois de mars prochain. L'Etat a cédé à la pression quasi-maffieuse des détenteurs des voies marchandes informelles. Savez-vous que n'était la présence d'une grande entité industrielle comme Cevital et qui a assuré une offre stable sur le marché de l'huile et du sucre, ces deux marchés sensibles auraient connu une flambée des prix incontrôlable qui causerait, carrément, leur effondrement. - Comment peut-on quantifier le fléau en termes de chiffre d'affaires et de population activant dans l'informel ? Comment le fléau a-t-il évolué pour échapper à la puissance publique ? Il y a une sérieuse difficulté à quantifier le phénomène mais quelques données recoupées font état d'une alarmante situation : financièrement, le commerce informel est estimé à plus de 6 milliards d'euros, soit 17% des revenus primaires nets des ménages. Un million d'opérateurs exercent plus ou moins informellement une activité soit en ne déclarant pas les salariés, en sous-déclarant ses revenus ou en empruntant des voies d'approvisionnement informelles. Deux millions de personnes activeraient dans l'informel, soit plus de 20% de la population active. Il y a, sur le territoire national, plus de 500 marchés populaires informels sans compter le petit commerce à la sauvette qui paralyse toute structuration d'une industrie de confection, de cosmétiques et du tabac. Il y a une défaillance institutionnelle progressive qui a conduit à la prolifération de l'informel. Le manque d'encadrement dédié au contrôle, la corruption et la charge fiscale constituent les éléments encourageant le commerce informel. Si l'on ajoute la bancarisation insignifiante des transactions économiques, nous pouvons en déduire que cela devient encore plus inquiétant. J'en veux pour preuve la levée de boucliers à chaque fois que le gouvernement prend des mesures pour instaurer, même partiellement, le paiement par chèque ! Il y a une relation inverse entre le niveau de vie et de revenus des ménages et le poids de l'informel dans une économie. A chaque fois que le marché du travail se contracte, la solution de captation de revenus oriente les ménages au développement d'une activité informelle. Idem pour les entreprises qui, pour faire face au poids des charges sociales et de la fiscalité, versent dans l'informel. - Quels sont les secteurs les plus envahis par l'informel ? Le modèle économique algérien ne favorise-t-il pas l'informel ? Absence de création de richesses et d'emplois… Il n'y a pas de cartographie claire qui permettrait une lecture sereine du phénomène mais une chose est sûre : aucun secteur n'est épargné même à un degré insignifiant surtout pour les services. Les secteurs les plus frappés sont la distribution des produits agroalimentaires, le textile et la confection, les fruits et légumes, l'électroménage etc. Ce n'est pas le modèle économique mais c'est la gouvernance économique qui est en cause. Et pour vous dire, le commerce informel ne trouvera pas des solutions seulement à partir des mesures économiques qui seraient prises mais d'une volonté politique claire à en finir. Il n'y a pas de modèle qui soit un antidote de l'informel puisqu'il prolifère dans tous les pays, quel que soit leur niveau de développement économique. La régulation par l'Etat de l'activité économique doit se faire avec des principes clairs et rationnels qui tiendraient compte des proportions qu'a pris l'informel dans l'économie et son impact sur l'emploi. Il ne serait pas rationnel de s'attaquer de façon militarisée à l'informel mais il faudra agir à travers une démarche séquencée à trois niveaux : en premier lieu, procéder au cantonnement du phénomène par le recensement et la sensibilisation des acteurs ; puis instaurer une démarche de conversion de l'informel au formel par des mesures facilitatrices d'intégration et enfin, interconnecter l'arsenal fiscal et bancaire et institutionnel pour éviter une reprise à l'avenir. Ceci dit, quelques mesures premières peuvent être instaurées pour imprégner les acteurs de cette impérieuse nécessité comme, par exemple, les contrôles des importations, l'instauration des systèmes de paiements électroniques et bancarisés pour les achats industriels…etc. Je l'ai déjà dit : il y a une relation établie, notamment dans des études menées par le BIT, entre le niveau de richesse d'un pays et la proportion que peut occuper l'informel dans son économie. Il est évident que si on crée des emplois et on encourage davantage la création d'entreprises, par la facilitation d'accès aux dispositifs existants, on pourra endiguer le phénomène et réduire son impact néfaste sur la stabilité économique, notamment celle des prix et du pouvoir d'achat des ménages.