La vérité peut être façonnée comme on le veut», a estimé, samedi, Chérif Rezki, directeur du quotidien El Khabar, lors d'un débat animé dans le cadre du Colloque Marianne/ El Khabar sur le cinquantenaire de la fin de la guerre d'Algérie. Cette rencontre, qui avait pour thème : «Y a-t-il une vérité pour les médias ?», a réuni M. Rezki, Maurice Szafran, directeur de Marianne, Hamid Grine, écrivain et ancien journaliste, ainsi que Max Armanet, journaliste et organisateur des forums de Marianne. Dans un pays où «la vérité est celle du pouvoir», souligne M. Grine, la mainmise de l'Etat algérien sur les médias lourds, ainsi que sur l'information rend la vérité somme toute partielle. Et, face à une vie publique factice, «les journaux se sont retrouvés à jouer le rôle de l'opposition, du militant, du politique, et non plus leur rôle initial, qui est celui de donner de l'information», explique M. Rezki. M. Szafran abonde dans le même sens, en ajoutant : «Notre rôle n'est pas d'être en face du pouvoir politique.» «Et en Algérie, où la vie politique est truquée, la presse est devenue l'alibi du pouvoir, qui affirme prouver qu'il existe une réelle liberté d'expression et une réelle démocratie», poursuit-il, et ce, en citant ces journaux qui se battent au quotidien, et d'autres qui relaient les discours officiels. Et, malgré la différence de spécificités des presses algérienne et française, et des écueils rencontrés dans l'exercice de cet «engagement», reste qu'elles ne sont pas à l'abri d'une idéologisation de l'information. «Et tout particulièrement lorsqu'il s'agit de l'Algérie pour la presse française», estime M. Szafran. «Les responsables et fondateurs des principaux journaux français actuels sont issus directement de la couverture de la guerre d'Algérie. Jean Daniel par exemple, ou encore Jean-François Kahn, qui est né au journalisme en couvrant la guerre d'Algérie», souligne-t-il. Il n'y a pas, selon eux, d'autre événement dans la vie française à avoir joué, et à jouer encore de nos jours un tel rôle. «Il est d'ailleurs tout à fait clair que pour ce qui a trait à l'Algérie en particulier, les journaux français ont des lignes historiques claires», poursuit le directeur de Marianne. «L'Algérie reste au cœur des préoccupations de la presse française». Ce dernier illustre son propos par le traitement fait de l'interruption du processus électoral de 1992. «Les journaux français se sont prononcés pour ou contre, au-delà de l'enquête ou de l'information objective», rappelle-t-il. Autre dossier sensible, au sein-même de la rédaction de Marianne, l'assassinat des moines de Tibhirine. «L'un de nos collaborateurs a écrit une enquête argumentée qui contredit la thèse du GIA. Il y a eu un véritable conflit entre nous pour décider de la publier ou non», relate-t-il. «Accepter aurait été en rupture historique et idéologique avec notre ligne à ce sujet», affirme-t-il. «Nous pensions que cela donnerait des armes aux ennemis de la liberté et de la démocratie», juge, quant à lui, M. Armanet. «C'est surtout qu'il existe des présupposés idéologiques dans la presse française. Toutes les enquêtes et les reportages sur ce dossier défendent une thèse et effectuent leur travail de terrain, de témoignages et d'investigation en fonction de cette thèse», poursuit M. Szafran, estimant que ce phénomène était inhérent à la «couverture» de l'Algérie. La «spécificité algérienne» même dans la presse française…