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Un homme, un artiste, un talent
SID AHMED AGGOUMI (COMEDIEN)
Publié dans El Watan le 09 - 09 - 2004

L'artiste s'adresse à la sensibilité, non à l'intelligence. Henry Lichetenberger
Sid Ahmed Aggoumi est l'une des figures emblématiques du théâtre et du cinéma algériens. Ancien directeur du Théâtre national d'Alger et de la maison de la culture et du théâtre de Tizi Ouzou, il a incarné plusieurs grands rôles dont Les hors la-loi en 1992, Zone interdite en 1972 et Moisson d'acier en 1982. Sid Ahmed Aggoumi a été sollicité pour incarner un rôle dans le film Morituri, adapté du polar de Yasmina Khadra dont le tournage s'est achevé la semaine dernière à Alger.
Le jour de son départ vers la France où il est installé depuis 1994, Sid Ahmed Aggoumi, avec l'humour sarcastique qu'on lui connaît, a bien voulu aborder certains thèmes qui lui tiennent à cœur. Cette discussion à bâtons rompus a été pour lui comme une sorte de sinécure, c'est du moins ce qu'il a affirmé. La cinquantaine passée, Sid Ahmed Aggoumi a cette facilité de la communication avec quiconque essayant de l'approcher. Sourire en coin qui ne le quitte jamais, l'homme est très volubile. Il parle avec passion et nostalgie de son métier. Le rôle d'El Ankabout, que lui a confié le réalisateur Okacha Touita dans le polar Morituri , est intéressant à plus d'un titre. Le film aborde le thème de la décennie noire qu'a vécue l'Algérie. Ankabout est un personnage du système qui l'a tout de suite séduit « C'est un intellectuel qui a des idées très arrêtées et quand on est comme cela, on tombe facilement dans le fascisme. En fait, c'est un fasciste prêt à toutes les exactions possibles pour arriver à ses fins. Attention, pas d'amalgame, Ankabout est tout à fait mon contraire. » Se définissant comme un homme de théâtre, Sid Ahmed Aggoumi tient à signaler que le rôle incarné dans Morituri ne signifie pas pour autant son retour dans le cinéma algérien. Il n'aime pas cette approche de retour car cela signifie qu'il y a eu rupture. « Je n'aime pas, dit-il, relater les circonstances qui m'ont poussé à quitter le pays en 1994, juste après l'assassinat de Abdelkader Alloula. » Il a fait le deuil dans le silence. C'était sa manière à lui de dire ce qu'il pensait tout bas. C'était une très grande douleur. « Comme on dit, une vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie. Je devais défendre la vie, alors je suis parti », dit-il. Après son départ, il a eu cette chance de pouvoir continuer à exercer son métier : le théâtre. Il affirme en toute modestie qu'en dehors de cette discipline, il ne sait rien faire d'autre. Beaucoup de gens qui sont restés lui ont reproché, ainsi qu'à d'autres, d'avoir choisi l'exil. Comme réponse, il lance : « Je leur rappellerai que j'ai fait connaître Feraoun, j'ai joué Alloula à Avignon et bien d'autres auteurs. Qu'ont fait ceux qui sont restés ? C'est une expérience enrichissante de faire connaître nos auteurs. Comme vous le savez, en France ou ailleurs, on ne vous fait pas de cadeau. » Si l'artiste a continué de travailler, c'est grâce à sa formation en Algérie et grâce aux contacts qu'il a eus avec le public algérien, l'un des plus exigeants qu'il connaisse. C'est pourquoi cela le révolte quand on dit qu'on doit simplifier en écriture et s'abaisser au niveau du public. Il trouve que cela est pitoyable. C'est à la fois méprisant et méprisable. « C'est à nous, dit-il, qu'il incombe d'être au niveau de l'intelligence de notre public. » C'est là où la fonction de l'acteur est importante. Aujourd'hui, il ne conçoit pas d'acteur analphabète. « Mais comme nous sommes en 2004, comment ose-t-on jouer quand on est entre le génie du créateur et l'intelligence du spectateur. » Il se souvient que dans les années 1970 alors que les grandes œuvres étaient montées, le premier quart d'heure était celui de vérité. Si l'acteur n'intéressait pas par le propos, le public manifestait son mécontentement en quittant bruyamment la salle. Selon lui, il n' y a pas de crise de texte dans le théâtre algérien. Les gens manquent plutôt d'imagination ou alors ne lisent pas assez. Il tient à préciser qu'il n'insulte personne, mais c'est une réalité qu'il ne faut pas occulter. Il faut s'informer de ce qu'il se fait éditer. Il y a de jeunes écrivains qui ont beaucoup de talent. Il donne l'exemple de Waciny Laâradj qui est un auteur de langue arabe extraordinaire. « Pourquoi, se désole-t-il, faire appel à ces écrivains pour le théâtre, le cinéma ou encore pour la télévision ? On n'aide pas les auteurs en ne les faisant pas connaître du large public. Les gens sont paresseux et se cachent derrière l'argument de la crise de texte. » A la question de savoir s'il se définit en tant que comédien ou acteur, il répond énergiquement que c'est une question de formulation. Les acteurs de cinéma ne jouent qu'eux-mêmes. Les comédiens, c'est la création d'un personnage. Il affirme qu'il est un homme de théâtre et de cinéma. C'est un art qu'il aime beaucoup. Ayant approché plusieurs jeunes talents, il demeure persuadé qu'aujourd'hui, « nous n'avons plus besoin de comédiens d'instinct ». « Aujourd'hui, poursuit-il, nous avons des jeunes instruits. Il faut, que nous soyons à la hauteur des attentes de ce public, tant sur les problèmes sociaux, politiques ou autres, et c'est là l'importance du théâtre. On peut sortir d'un film comme on l'a commencé. Pour le théâtre, c'est différent. On sort toujours avec une idée nouvelle, ou du moins un questionnement. Si au bout d'une représentation, la pièce ne suscite pas ce questionnemment chez les comédiens, cela veut dire que c'est une pièce ratée. C'est ce qui fait que le théâtre est un art majeur. Il est éphémère et ne dure que ce que dure la mémoire. C'est un art intelligent qui s'adresse à l'intelligence de l'homme. » Quand on lui a proposé, se souvient-il, de diriger l'INADC, il n'était pas prêt à assumer le rôle car, au fond de lui-même, il n'était pas totalement satisfait de son parcours de comédien et, par conséquent, il ne pouvait pas faire bénéficier les jeunes de son expérience. Car, comme il le dit si bien, quand un comédien n'est pas satisfait de son parcours, il n'est pas assez généreux pour apprendre aux autres. Aujourd'hui, il pense être prêt à faire bénéficier les jeunes de son expérience. Avec la multiplicité des œuvres jouées un peu partout dans le monde, il estime qu'il est prêt à rentrer au pays pour faire de la formation. Au niveau de l'acteur, il n' a plus rien à prouver : « Je dois rendre ce qui m'a été donné parce que je suis redevable à mon pays, qui m'a permis d'être comédien et de me faire un nom. C'est pourquoi cela me préoccupe fondamentalement de faire profiter de mon expérience les jeunes qui veulent se consacrer à ce métier. » Cependant, notre interlocuteur tient à préciser qu'il n'a pas l'intention de revenir dans un cadre institutionnel car il en a assez souffert. Il a été directeur pendant dix-sept ans. Il ne veut plus faire face à ce genre de problème car il est fatigué. Il cogite sur la formule idéale, mais il est certain que cela ne sera pas un établissement étatique « Quand je vois qu'en 2004, le théâtre national joue encore sur des textes de 1962 alors que nous sommes en 2004, il y a de quoi se poser des questions. Ces structures ont besoin d'être revisitées car les choses ont évolué. D'autres approches de création dans le théâtre et le cinéma doivent être adoptées. » Son expérience théâtrale avec Slimane Benaïssa a été des plus fructueuses. Il a participé à trois pièces en dehors de Babor Ghraqqu'ils ont joué à Alger. Les fils de l'amertume, L'avenir oublié et Les prophètes sans Dieu. Une pièce qui a bien marché mais qu'il a dû quitter il y a deux ans pour la simple raison qu'il avait besoin de diversifier ses rôles. « Quand on joue, argue-t-il, un auteur et que vous le connaissez parfaitement, vous stagnez sur le plan de la créativité. Cela est très dangereux pour le comédien. La pièce a été jouée plus de 150 fois et pratiquement dans tous les théâtres français. » Par la suite, il a eu d'autres propositions, dont Slobodan Milosevic à Saint-Etienne. Cela a été difficile de quitter Slimane Benaïssa, mais il fallait que les portes s'ouvrent vers d'autres horizons. Comme tout performant artiste, les projets de Sid Ahmed Aggoumi sont nombreux. « Ah, dit-il, sur un ton ironique, les projets ce n'est pas ce qui manque quand on est à l'étranger ! » Adoptant un ton plus sérieux, il révèle qu'il sera en tournée du 15 août au 15 septembre pour le compte du festival La Batie de Genève aux côtés du metteur en scène Hervé Loichemol et du jazzman Archie Shepp pour présenter Nous sommes à l'orée d'un univers fabuleux, un poème en vers de Jean Senac. Il participera également au festival de Limoges où l'artiste présentera Présence de Kateb Yacine, un montage de textes, du Cadavre encerclé, Nedjma et autres textes. Il présentera aussi le journal de Mouloud Feraoun, 1956-1962 dont il dit : « J'ai choisi des moments très forts pour les présenter au public du festival. Ce sont des spectacles de 1h20, entrecoupés de chants andalous, que j'interprète a capella. » En octobre-novembre prochains, il commencera les répétitions d'un texte de Matéi Visciniec, monté par Gabriel Garant Le collier de larmes. Il retournera ensuite au Québec pour présenter le spectacle. Parmi les projets qui lui tiennent à cœur, celui de monter une pièce théâtrale intitulée Les prédateurs, un texte de Mourad Bourboune. Les deux compères sont en train de chercher un traducteur qui soit à la hauteur du talent de l'écrivain. C'est un projet qui lui tient à cœur et qui, il l'espère, lui permettra de revenir au théâtre algérien. « Je ne peux pas monter le spectacle au TNA car ils n'ont pas les moyens. Alors l'appel est lancé à toute personne intéressée pour monter ce projet. »
PARCOURS
« Monstre sacré » du théâtre et du cinéma algériens, Sid Ahmed Aggoumi a reçu une formation à l'Inadc de Bordj El Kiffan. Avec trente pièces de théâtre à son actif et autant de films, il est une star dans son pays et à l'étranger. Il a quitté l'Algérie le 31 mars 1994, peu de temps après l'assassinat de Abdelkader Alloula. Depuis qu'il s'est installé en France, tout le répertoire algérien moderne lui est passé par la voix. La répétition de Benguettaf-Ziani, Les Généreux de Abdelkader Alloula, Mille hourras pour une gueuse de Mohamed Dib, Les fils de l'amertume de Slimane Benaïssa, programmée après Avignon, à la MJC de Bobigny. Sans oublier, en mai 1997, Pirandello à Genevilliers. Du 15 août au 15 septembre, il sera en tournée au festival de la Bâtie de Genève aux côtés du metteur en scène Hervé Loichemd et du jazzman Archie Shepp pour présenter Nous sommes à l'ordre d'un univers fabuleux, un vers de Jean Senac. Il participera également au festival de Limoges où l'artiste compte présenter Présence de Kateb Yacine, un montage de texte du Cadavre encerclé. En novembre prochain, il commencera les répétitions d'un texte de Matéi Visciniec, monté par Gabriel Garant Le Collier de larmes. En compagnie de Sid Ali Kouiret, il compte monter une pièce intitulée Les prédateurs, un texte de Mourad Bourboune.


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