Premier test sérieux pour le gouvernement Ennahda hier face à l'opposition autour de l'enjeu de la liberté de manifester. Tunisie De notre envoyé spécial Des milliers de Tunisiens ont répondu à l'appel lancé par plusieurs partis politiques et des associations de la mouvance démocratique pour occuper l'avenue Habib Bourguiba. Les premiers groupes rassemblés près du siège du ministère de l'Intérieur ont vite été dispersés à coups de matraque par la police. Plus loin, sur le boulevard Mohammed V, l'affrontement a duré des heures, rappelant les événements de janvier 2011. D'une part, des manifestants scandant des slogans hostiles au pouvoir et demandant plus de liberté, et de l'autre, des troupes antiémeute repoussant les manifestants par tous les moyens. Les policiers ont fait bloc entre les manifestants et l'accès à l'avenue, plongeant de temps à autre le boulevard dans un nuage de gaz lacrymogène et certains éléments, visiblement zélés, n'ont pas hésité à taper fort sur les manifestants, y compris les femmes. On a dénombré plusieurs blessés et des évanouissements causés par le gaz lacrymogène. Des rumeurs, non confirmées, ont circulé faisant état du décès d'une jeune manifestante de 25 ans, frappée sur la tête par un policier. Pendant ce temps, les commerces du centre-ville ont pour la majorité baissé rideau. Quelques touristes surpris par la manifestation ont eu du mal à sortir du piège et éviter des complications. Lors du congrès d'unification qui s'est achevé hier, le Parti démocratique progressiste (PDP) d'Ahmed Nejib Chebi, le mouvement Affak Tounes et leurs invités de At'tajdid ainsi que la centrale syndicale, l'UGTT, ont appelé à manifester le 9 avril pour «récupérer» l'artère principale de Tunis. D'autres partis politiques et plusieurs organisations ont adhéré à l'initiative. Des personnalités, comme Hamma Mamami (secrétaire général du Parti communiste ouvrier tunisien, PCOT), et le député populaire, Brahim Kessas, descendus dans la rue soutenir leurs militants. «L'avenue Habib Bourguiba est le symbole de la révolution, il est inconcevable d'y interdire les manifestations. Demain 9 avril, pour la commémoration de nos martyrs, nous irons manifester sur cette avenue qui appartient au peuple», a déclaré dimanche, Maya Jribi. Samir Cheffi, représentant de l'UGTT, a pris la parole aussi, appelant à manifester sur l'avenue, le 9 avril et le 1er mai prochain. Les organisateurs ont choisi la date du 9 avril qui correspond à la Journée du martyr (commémoration de la manifestation populaire du 9 avril 1938 réprimée par le colonialisme français). L'action vient en réaction à la décision du gouvernement d'interdire toute forme de manifestation sur l'avenue Bourguiba afin de «préserver les intérêts des commerçants de l'avenue et mettre fin aux embouteillages qui pénalisent les usagers». Une décision rejetée catégoriquement par la classe politique qui s'accroche à cet espace considéré comme le symbole de la révolution du 14 janvier et des sacrifices pour obtenir la liberté, dont la liberté de manifester. Les manifestants criaient, entre autres slogans, «Plus jamais de peur, ni terreur, la rue appartient au peuple». Sara, jeune étudiante, venue avec sa famille participer à l'événement, affiche sa détermination à se battre pour les acquis de la révolution. «Pourquoi ont-ils toléré la manifestation des salafistes et pas la nôtre ?», s'indigne-t-elle. Son père Moundji, cadre de l'administration, drapeau rouge vêtu en cape, souligne que «rien ne pourra repousser les Tunisiens derrière les lignes qu'ils ont franchies grâce à la révolution». Ali Laârayedh, ministre de l'Intérieur, et son parti Ennahda ont été traités de tous les noms par les manifestants, outrés par la brutalité de la police. A noter que deux jours auparavant, une autre manifestation organisée par les jeunes diplômés chômeurs a été réprimée de la même façon. Quelques jours avant, les victimes de la révolution ont été également brutalisées et leur sang a de nouveau coulé sur le boulevard Bourguiba, déclenchant un tollé dans les milieux politiques et au sein de la population. La bataille autour de l'espace de l'avenue Bourguiba ne fait que commencer et devra se poursuivre encore «jusqu'à ce que le gouvernement revienne sur sa décision», affirment des manifestants. Pour le moment, rien ne dit que le gouvernement Ennahda, dirigé par Hamadi Djebali, va céder dans ce bras de fer déterminant pour son avenir.