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L'adieu à un monument de l'histoire
Premier président de l'algérie indépendante, Ben bella s'est éteint hier à l'âge de 96 ans
Publié dans El Watan le 12 - 04 - 2012

Ahmed Ben Bella, premier président de la République algérienne indépendante, est décédé hier à son domicile de Hydra (Alger)
à l'âge de 96 ans. Responsable politique controversé, il a eu à mener les destinées de l'Algérie dans une période trouble (1963-1965) avant d'être déposé par le colonel Houari Boumediène. Après avoir passé près de 17 ans en détention, il a été libéré par le président Chadli en 1981 avant de fonder, à l'étranger, un parti politique, le MDA.
Le premier président de l'Algérie indépendante est mort hier en son domicile, à Alger. Certains, passés maîtres dans l'art de l'ikebana, composent déjà les gerbes florales pour célébrer le grand disparu. D'autres, en revanche, affûtent leur kalam pour rappeler les grands écarts de ce protée politique à nul autre semblable. Ben Bella, enfant terrible au destin non moins terrible, est sans aucun doute l'homme politique algérien le plus controversé et le plus complexe qui ait traversé l'histoire de notre pays, depuis qu'il a émergé dans le mouvement national, en prenant part au hold-up de la poste d'Oran.
Le butin de l'opération, laquelle avait été montée par le responsable de l'Organisation spéciale (OS) Hocine Aït Ahmed, était dérisoire : 3 millions d'anciens francs. Toutefois, l'audace de l'action, en raison surtout de sa novation, va éclairer crûment les auteurs du coup. Si la police française n'y avait vu qu'un fric-frac de droit commun, il sera retenu par les militants indépendantistes comme une mise à l'épreuve de leur organisation paramilitaire. C'est justement Ahmed Ben Bella qui en prendra la tête à compter de 1949.
L'homme est audacieux. Il s'était illustré lors de la campagne d'Italie, depuis les plages de Naples, en décembre 1943, jusqu'à l'enfer de Monte Cassino en mai 1944, alors qu'il officiait comme adjudant des Tabors du 14e Régiment des tirailleurs algériens (RTA). Ahmed, alors âgé de 26 ans, sera décoré de la médaille militaire «avec deux citations à l'ordre du corps d'armée et de la division» pour avoir porté secours à son supérieur blessé et «pour avoir franchi le no man's land pour récupérer des armes abandonnées». Il sera démobilisé en 1945, comme des dizaines de milliers d'autres, engagés ou enrôlés de force. Il ne tardera pas à se désillusionner. Le drame du printemps de mai a voué au jardin des mensonges les promesses de Brazzaville, les serments de la France défaite et de ses armées en déroute.
Sa carrière au sein du PPA-MTLD sera fulgurante. En effet, il est conseiller municipal de Maghnia (octobre 1947), il se présente à l'Assemblée algérienne aux élections d'avril 1948 dans la même circonscription. Membre du comité central en 1948, il est responsable de l'OS pour l'Oranie, avant d'en prendre la tête à l'échelle nationale en 1949.
Le coup de filet contre l'organisation, en 1950, jettera une ombre sur sa responsabilité dans son démantèlement, même s'il a pris sur lui de dégager l'imputabilité qui pesait sur le MTLD, en endossant les charges politiques d'avoir créé une structure à caractère subversif, paramilitaire de surcroît. Quel est le niveau de naïveté de la police coloniale ? A-t-il été cru ? Quoi qu'il en soit, il sera condamné à 7 ans de réclusion et emprisonné à Blida, d'où il s'évadera en compagnie d'Ahmed Mahsas. Ce dernier deviendra un de ses plus fidèles partisans, pour ne pas dire prosélytes.
De là, Ben Bella gagne Le Caire.
Dans la capitale de l'arabisme triomphant, galvanisé par le coup d'Etat des Officiers libres menés par Naguib et surtout Gamal Abdel Nasser, contre un roi jouisseur et amateur de poker, l'ancien patron de l'OS va découvrir le nationalisme arabe. Désormais, l'Egypte va exercer sur Ahmed Ben Bella une formidable fascination qui déterminera son formatage politique et son engagement idéologique. Le futur président de la République algérienne démocratique et populaire deviendra un partenaire du raïs égyptien qui désignera Fathi Dib, chef des services spéciaux, comme interface entre la Révolution de Novembre et celle de Juillet. En effet, le 1er Novembre 1954, Ben Bella est aux côtés d'Aït Ahmed et de Mohamed Khider dans la délégation extérieure du FLN.
Formatage politique
Ses rapports avec «l'intérieur», et particulièrement avec Abane Ramdane, iront en se contractant. La correspondance entre la délégation extérieure et le futur chef du Comité de coordination et d'exécution (CCE) illustre les rapports détestables entre les deux hommes. C'est le Congrès de la Soummam qui révélera tout le fossé idéologique et politique qui les divise.
Ben Bella, qui voyait déjà d'un mauvais œil l'arrivée des Centralistes dans les rangs du Front, va s'insurger contre l'ouverture politique qui a été faite à tous les courants par Abane, soucieux d'élargir au maximum la représentation au sein du FLN-ALN. Pour le premier, seuls les novembristes devaient assumer des responsabilités ; pour le second il fallait fermer la porte à une éventuelle troisième force qui aurait été utilisée par les autorités colonialistes pour ravir le leadership au FLN. L'expérience dramatique du MNA ayant montré la volonté de la France de trouver un autre partenaire avec lequel traiter une solution néocolonialiste.
De plus, Ben Bella n'a jamais caché son penchant pour la création d'une République arabe et islamique, tandis que la plateforme de la Soummam appelait, conformément à la proclamation de Novembre, à une république certes mais démocratique et sociale.
Le piratage par les Français de l'avion qui les transportait et l'arrestation d'Ahmed Ben Bella, d'Aït Ahmed, de Khider ainsi que de Boudiaf – premier coordinateur du FLN désigné comme tel par les six novembristes (Didouche Mourad, Krim Belkacem, Rabah Bitat, Larbi Ben M'hidi et Mostefa Ben Boulaïd) à la veille du déclenchement – va certes redistribuer les cartes au sein de la direction de la guerre, mais Ben Bella gardera une influence certaine sur tout ce qui se passait. Bien plus, sa popularité ira grandissant et l'on ne parlera plus que de l'affaire Ben Bella et de ses «compagnons». Il faut dire que tant la presse française qu'égyptienne ne manquaient jamais d'évoquer le fils de Maghnia comme un symbole des «terroristes» pour la première et de la résistance pour la seconde.
Alors que l'indépendance irisait l'horizon et que le Monopoly politique était engagé, Ben Bella se révélera un des principaux acteurs, bien plus que ceux qui se sont distingués sur le terrain politique ou militaire. Son alliance avec Boumediène, qui avait la main haute sur l'armée des frontières, en fera un pilier mitan du dispositif de la prise de pouvoir au lendemain de juillet 1962.
Tout avait été concocté entre Le Caire et Tunis. Tripoli et le Congrès préfabriqué qui s'y était déroulé n'était qu'un leurre qui a profité au disparu et ses partisans. Le clash verbal que Ben Bella a eu avec Ben Khedda était à la limite des convenances. Le président du GPRA avait cédé devant l'ultracisme de son contempteur, attitude qui lui sera du reste reprochée longtemps et interprétée comme un aveu de faiblesse. Il est vrai que le président du GPRA n'était soutenu par «aucune division»…
Ben Bella arrivera à ses fins. Il entrera à Alger comme on conquiert une ville, avec des véhicules militaires pour ouvrir la voie. Sa longue marche «maotienne» qui l'a amené d'Oujda à Alger l'a propulsé jusqu'aux ors de la République. Il ne trouvera cependant pas ses lignes d'eau. Le socialisme incantatoire qu'il prônera pour sortir l'Algérie du sous-développement dans lequel l'ont plongée 132 ans de domination coloniale n'aura pour résultat qu'un populisme infécond.
Le pays se nourrissait des idées des autres et vivait des produits d'ailleurs. Au lieu de surfer sur la formidable vague née de l'euphorie de la liberté retrouvée et de l'extraordinaire disponibilité du peu de cadres dont disposait le pays, Ben Bella s'est engouffré dans une politique de laboratoire, oubliant sans doute que la Révolution est un fil de laine qui se tisse et se tricote en trame serrée et qui ne se tresse pas en corde. Il avait le pouvoir de dire, mais pas celui de convaincre. Un politique d'instinct et non d'intelligence. Ce sont ceux-là mêmes qui l'ont porté au pinacle qui l'enverront au cachot.
Le complot est une tentation éternelle.
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