Dans l'introduction de son premier dictionnaire arabe-anglais, publié en 1936 à Beyrouth, Elias Aboud a écrit : «L'auteur d'un roman ou d'un poème peut espérer lire des articles ou des essais élogieux concernant son œuvre. L'auteur d'un dictionnaire ne peut s'attendre qu'à des critiques».Achour Cheurfi, qui vient de publier un Dictionnaire des localités algériennes(1), sait, lui aussi, que son travail peut être critiqué par des journalistes ou des chercheurs. Dès les premières lignes de son «liminaire», il avertit le lecteur : «Notre constant souci a été de faire en sorte que l'ouvrage soit le plus complet possible (…) Toutefois, il serait prétentieux de croire qu'aucune erreur ne s'y est glissée ou que l'ouvrage soit parfait». L'Algérie, qui a connu les pires turbulences durant sa douloureuse histoire, n'a accouché, jusqu'à présent, que d'un nombre très restreint de savants, de chercheurs ou de créateurs talentueux. L'immobilisme et l'analphabétisme ambiants - résultat «logique» de la gestion cahoteuse du pays - ont produit des réflexes irrationnels dans toutes les couches sociales du peuple algérien, y compris au sein des «élites». Comme les exorcistes ou les «talebs», qui gardent jalousement «leurs recettes miraculeuses» et ne la donnent qu'à «leur enfant préféré», les Algériens sont avares d'informations. On trouve ce réflexe un peu partout. De la petite mairie aux hautes institutions de l'Etat, l'information circule très peu. Le chercheur ou l'auteur d'un projet scientifique trouve toutes les difficultés du monde à obtenir des informations fiables, même si son projet ou son travail de recherche contribue à rehausser le prestige de l'Algérie. Vu ce «contexte algéro-algérien très particulier», on ne peut que féliciter Achour Cheurfi pour le travail colossal qu'il accomplit patiemment depuis plus de vingt ans. Ecrire des dictionnaires est un «art très ardu» dans notre pays si désertique culturellement et scientifiquement.Le dictionnaire des localités algériennes nous donne sur 1212 pages des informations abondantes et utiles sur l'organisation administrative, la démographie et l'armature urbaine des villes, des bourgs, des villages, des hameaux, des douars, des mechtas et autres lieux-dits algériens depuis la période coloniale à aujourd'hui. Achour Cheurfi a recensé plus de dix mille localités avec parfois des monographies presque complètes, des noms de célébrités originaires de cette ville ou de ce village, des genres de chansons ou de danses et même de «la petite histoire» de tel vestige ou telle construction historique de ladite ville ou dudit village. Le nouveau dictionnaire de Achour Cheurfi vient combler un vide immense dont souffrait la recherche nationale en monographie et autres informations nécessaires à notre mémoire collective. 1) – Editions Casbah, Alger 2011.