Olivier Le Cour Grandmaison est spécialiste de l'histoire coloniale et des questions de citoyenneté ; il enseigne les sciences politiques et la philosophie politique à l'université d'Evry-Val-d'Essonne. - Que vous a inspiré la campagne pour le premier tour de l'élection présidentielle en France ? Les thèmes abordés par les différents candidats ? L'analyse de leurs programmes ? En 2007, à l'occasion de la dernière élection présidentielle, Nicolas Sarkozy déclarait qu'il s'agissait de la campagne la plus droite jamais menée sous la Ve République. Il avait raison et tort à la fois puisqu'il s'est démenti lui-même cinq ans plus tard. Dans un contexte très fortement marqué par la crise économique, sociale et financière, et pour tenter de contrer l'influence grandissante du Front national, il a choisi de placer l'immigration, la sécurité et l'islam au sommet de l'agenda électoral. De là la multiplication de discours et de propositions xénophobes et islamophobes, qui tendent à faire croire que les musulmans et les immigrés sont une menace pour l'ordre et la sécurité publics, pour l'emploi et les salaires des Français et pour l'identité de la France. De là aussi la volonté de renforcer encore les dispositions législatives et réglementaires à l'encontre des étrangers en restreignant toujours plus leurs droits, même si cela porte atteinte à des droits fondamentaux, comme le droit à une vie conjugale et familiale normale. Je pense en particulier aux conditions indignes imposées aux couples dits mixtes qui sont désormais soumis à des procédures inquisitoriales, policières et souvent arbitraires. En ces matières, le chef de l'Etat, le gouvernement et la majorité n'ont cessé, depuis cinq ans, de se livrer à une surenchère démagogique et obscène qui tend à faire des immigrés et des «jeunes des banlieues» les nouvelles classes pauvres et dangereuses de la période actuelle. La nomination de Claude Guéant aux fonctions de ministre de l'Intérieur n'a fait qu'accentuer cette évolution et la radicalisation de la politique mise en œuvre dans ces différents domaines. De même, le rôle prépondérant accordé à Patrick Buisson, l'un des principaux conseillers de Nicolas Sarkozy lors de cette campagne. - Quel est le candidat qui, à vos yeux, a fait les propositions les plus généreuses, les plus rassembleuses en termes de valeurs républicaines ? Ces propositions vous semblent-elles satisfaisantes ? Relativement à la conjoncture qui vient d'être décrite, alors que la dirigeante du Front national multiplie elle aussi les déclarations et les projets contre les immigrés et les musulmans, force est hélas de constater que les gauches parlementaires et radicales n'ont pas été à la hauteur de cette situation. A des degrés variables, bien sûr, la plupart de leurs candidats ont le plus souvent esquivé ces débats, certains d'entre eux pour des raisons électoralistes et par crainte de s'engager sur ces terrains. Eu égard à l'importance de sa candidature et à l'avenir présidentiel que beaucoup d'observateurs lui prédisent désormais, François Hollande porte une responsabilité particulière puisque ses propositions en la matière se caractérisent par le flou et la pusillanimité. Si on ajoute à cela les politiques conduites antérieurement par des majorités socialistes dans le domaine de l'immigration et de la régularisation des sans-papiers, par exemple, pour ne rien dire de la question des banlieues, selon l'expression consacrée, ce tableau n'incite pas particulièrement à l'optimisme. Encore une fois, sur ces points particuliers mais très importants, il est à craindre que le changement tant vanté se fasse longtemps attendre alors que la situation des hommes, des femmes et des jeunes qui vivent dans les quartiers populaires est toujours plus difficile. - Nicolas Sarkozy veut revoir l'accord franco-algérien pour diviser par deux l'immigration. Est-ce la bonne approche pour «solder» le passé colonial comme il le préconise ? Il faut replacer cette déclaration dans un contexte plus large. Entre autres celui des critiques adressées par le président-candidat aux Accords de Schengen destinées à faire croire que les Etats signataires et l'Union européenne sont incapables de surveiller efficacement les frontières, ce qui serait la cause d'une «immigration incontrôlée», comme le répètent de façon pavlovienne Nicolas Sarkozy et ceux qui le soutiennent. De telles affirmations relèvent là encore du mensonge et de la démagogie car l'UE, sous la pression des Etats membres, n'a cessé, elle aussi, de renforcer la législation anti-immigrés et les moyens policiers et militaires destinés à empêcher l'arrivée de migrants en Europe. Le prouve la mise en place, depuis le 1er mai 2005, d'un organisme ad hoc, dit Frontex, qui est l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l'Europe. Cet organisme dispose d'un budget annuel de près de 90 millions d'euros pour lutter contre l'immigration dite clandestine notamment. Dans ce contexte, les propos du président-candidat doivent être interprétés comme une gesticulation supplémentaire destinée à faire pression sur l'Etat algérien pour qu'il durcisse encore un peu plus les dispositions relatives au départ de ses propres ressortissants. Quant au passé colonial, aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité commis par la France pendant la guerre d'Algérie, il ne faut rien attendre de Nicolas Sarkozy. Rien attendre car il a multiplié les déclarations relatives au caractère positif de la colonisation et qu'il s'est toujours prononcé contre toute reconnaissance officielle de ce passé criminel de l'Etat français, que ce soit en Algérie ou dans les autres colonies. En ce domaine aussi, il faudra que le changement cher à François Hollande se concrétise rapidement. - Comment comprenez-vous que ni le président, ni le candidat Sarkozy, ni le gouvernement n'aient fait référence à la mort du premier président de l'Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella ? Seul le candidat Hollande a rendu un communiqué public… Encore une marque de mépris sans doute motivée par la volonté de ne pas nuire à la campagne électorale menée par Nicolas Sarkozy dans un contexte de concurrence politique accrue entre l'UMP et le Front national. *O. Le Cour Grandmaison, universitaire. Dernier ouvrage paru : De l'indigénat. Anatomie d'un «monstre» juridique. Le droit colonial en Algérie et dans l'empire français (La Découverte/Zones, 2010).