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«Nous devons établir une stratégie de pénétration sur le marché libyen»
Hichem Baba Ahmed. Universitaire spécialiste en marketing
Publié dans El Watan le 23 - 04 - 2012

La 40e édition de la Foire internationale de Tripoli (Libye) a pris fin le 12 avril. Pendant dix jours, de nombreux participants venus de plusieurs pays du monde ont profité de cet important événement économique pour décrocher des marchés dans un pays en pleine reconstruction. L'Algérie a participé officiellement à cette édition avec pas moins de dix participants représentant des opérateurs économiques ou des institutions nationales. Certains opérateurs algériens, à l'instar de Vitajus et du groupe Sim (agroalimentaire), disent qu'ils sont en phase de négociation pour exporter leurs produits. La France reste toutefois le pays qui a été le plus agressif et le plus dominant durant cet événement avec une cinquantaine de participants. A travers cette interview, Hichem Baba Ahmed, chercheur en marketing et enseignant à l'université de Béjaïa, nous livre son point de vue sur le marché libyen. Un marché qui ne cesse d'attirer la convoitise des Occidentaux.
-Une dizaine d'opérateurs algériens viennent de participer à la Foire internationale de Tripoli. La Libye est convoitée par de nombreuses firmes internationales pour décrocher de nouveaux marchés. Nos opérateurs peuvent-ils facilement concurrencer ces grosses firmes ?
La Libye étant un pays très vaste où presque tout est à reconstruire pour atteindre, ce que les Occidentaux appellent «la nouvelle Libye». Beaucoup de pays sont donc déjà sur place, ce qui rend effectivement la concurrence assez rude, surtout sur les grands projets. Il est clair que la concurrence à l'intérieur du pays est plus accessible qu'à l'international. Ceci dit, il ne faut pas oublier que tout opérateur économique offrant un produit qui répond à la demande de ce vaste marché a donc une chance d'avoir sa place à condition de proposer des produits de qualité avec des coûts défiant la concurrence déjà sur place. Ainsi, beaucoup d'entreprises algériennes peuvent rivaliser avec les entreprises étrangères concurrentes. Nos opérateurs peuvent et doivent, à mon avis, relever le défi et prouver leurs capacités commerciales et managériales sur le marché libyen.
-La Libye est actuellement un vaste marché estimé à 200 milliards de dollars. Que faut-il faire pour que nos opérateurs puissent décrocher des marchés ? Une bonne stratégie marketing doit être assurée par l'opérateur lui-même ou c'est une question de politique économique extérieure de notre pays ?
La visite de notre ministre du Commerce à la tête de la délégation de chefs d'entreprise à la foire de Tripoli est un signe fort en réponse aux grandes lignes diplomatiques souhaitées par le ministre de l'Intérieur libyen lors de sa visite à Alger. La présence de notre ministre est un signal pour les hommes d'affaires algériens qui hésitent à exporter en Libye. A mon sens, à travers cette visite officielle, le gouvernement algérien encourage le dynamisme économique et commercial avec la Libye.
Par contre, l'Algérie peut prendre des mesures fiscales à l'égard des exportateurs et les inviter à payer moins d'impôts s'ils exportent des produits que l'Algérie veut encourager à l'export. Le ministre de l'Intérieur libyen veut clairement baser la relation entre les deux pays sur un climat de confiance pour dynamiser la coopération et les échanges entre l'Algérie et la Libye. Du côté de l'entreprise, un bon manager sait bien que pour acquérir un nouveau marché, il faut effectuer des études pour éviter de s'aventurer sur un terrain inconnu, le manager de l'entreprise algérienne devra répondre à la question : «Pourrai-je placer mon produit en Libye ?». Certes, les plus optimistes penseront que la tâche est facile, or sur le niveau international, la concurrence est tellement rude qu'il faut avoir une bonne vision du terrain et trouver de bons contacts. Chaque entreprise algérienne, qui désire exporter en Libye, devra adapter sa stratégie marketing selon son produit, mais aussi selon ses objectifs, à court, moyen et/ou long termes.
-Que doit faire notre pays pour profiter de «l'aubaine» libyenne, surtout que la Libye est limitrophe avec nous. Partager les frontières est-il réellement un avantage dans une ère de mondialisation ? Nos produits seront-ils moins chers et concurrentiels grâce à la dévaluation de notre monnaie et la proximité géographique ?
Nous avons effectivement un avantage géostratégique que nous devrions exploiter. Les Occidentaux le font bien à des milliers de kilomètres de nous. Rajouter à cela, nos produits et nos coûts de production qui sont relativement bon marché. Ceci est dû en partie à la dévaluation de notre monnaie, la Chine profite bien de cet avantage. Il est nécessaire que la Banque centrale accorde plus de mesures qui visent à encourager les exportateurs. A condition que le produit fabriqué ne bénéficie pas de subventions directement ou indirectement impliquées dans son processus de production. Exporter vers la Libye, produits hors hydrocarbures bien sûr, c'est avoir de nouveaux apports en devises suite à la diversification de l'exportation, constituée à majorité en hydrocarbures. Exporter vers la Libye peut engendrer aussi une relation très étroite à travers des contrats commerciaux bilatéraux portés à moyen et même à long termes.
-Quel produit nos opérateurs pourront commercialiser en Libye. Faut-il se contenter des produits consommables, comme l'agroalimentaire, ou faut-il s'aventurer, comme le font les grandes puissances économiques, dans des programmes de construction, de rachat d'entreprises privatisables… ?
La situation en Libye est telle qu'on ne peut déterminer avec certitude quels produit ou service marcheront le mieux, ce n'est pas des sciences exactes, le risque zéro n'existe pas. Nous devons cibler les produits à faible valeur ajoutée technologique, nous n'avons pas encore suffisamment de ressources pour concurrencer les Occidentaux sur ce terrain. Par contre, en ce qui concerne les produits de large consommation, les produits manufacturés, qui n'ont pas de subvention étatique ni directe ni indirecte, là, nous devons juste oser y aller et proposer des produits de qualité avec des prix compétitifs au niveau international. Pour l'exportation de service, là je pense qu'il est encore tôt pour parler de cela, car contrairement au produit palpable ou tangible, le service demande plus de ressources humaines sur place. Nous savons que la situation sécuritaire dans le pays n'est pas encore stabilisée. Nous devons donc établir une stratégie de pénétration progressive.

-Selon vous, l'attractivité du marché libyen peut aller jusqu'à combien de temps ? L'exportation vers la Libye est-il une question de grosses firmes ou même d'une simple PME ?
A mon avis, le marché libyen a une bonne trentaine d'années devant lui, c'est pour ça que j'invite les entreprises algériennes qui désirent exporter vers la Libye, d'assurer une stabilité en termes de qualité de produits. Il ne suffit pas d'avoir le marché, il faut aussi réussir à le garder aussi longtemps que nous pouvons. Je dirais aussi que l'exportation n'a jamais été réservée qu'aux grandes entreprises, bien au contraire, il suffit que la stratégie de l'entreprise soit bien définie et clairement tracée pour aller dans le sens de l'exportation d'un ou des produits fabriqués par l'entreprise. Il existe déjà des petites entreprises algériennes qui fabriquent des produits finis ou semi-finis qui rentrent dans un processus de fabrication de firmes étrangères à travers le monde. Nous avons encore tendance à sous-estimer l'importance des petites entreprises, c'est une erreur stratégique.
Dans la majorité des pays dit «développés», la petite entreprise représente le grand poumon économique du pays. Il est plus facile de gérer une petite entreprise que de devoir gérer une multinationale ou un groupe d'entreprises engageant des milliers d'employés qu'on aura plus de mal à gérer que la gestion de 10 ou 15 employés comme c'est le cas des PME. Nous avons l'ALGEX et les chambres de commerce et de l'industrie qui proposent leur aide aux PME qui veulent exporter leurs produits. Certes, c'est une aide qui n'est peut-être pas complètement suffisante, mais le plus important dans l'exportation tout comme dans la notion du commerce en général, c'est le bon encadrement interne. Si l'entreprise n'arrive pas à établir une stratégie claire selon des objectifs réalisables dans un temps fixe, on ne peut ni lancer d'études de marché à l'international ni exporter un produit. A la limite, nous pourrons faire juste une vente occasionnelle à l'international.
-Que peut-on attendre alors de nos diplomates installés à Tripoli ?
Personnellement, je pense qu'en termes de relations économiques et commerciales, notre diplomatie n'est pas encore assez agressive au niveau mondial en général, mais aussi en Libye comme beaucoup d'autres pays africains à forte attractivité commerciale. Notre diplomatie devra, à mon sens, procéder à de sérieux changements stratégiques et prendre le train qui est en marche à très grande vitesse, celui de la mondialisation. Une intégration d'une nouvelle stratégie diplomatique est nécessaire afin d'apporter un réel changement qui intégrera, avec dynamisme, la future diplomatie algérienne sur les différents réseaux commerciaux à travers le monde.


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