Pour l'auteur de Discriminez-moi et fondateur de Stand Alone Média, le second tour est joué en faveur du candidat socialiste. Il restera au président sortant d'aller braconner sur le terrain de l'extrême droite, au risque de voir son parti, l'UMP, éclater lors des législatives. -Quels enseignements tirez-vous des résultats du premier tour ? Il y a, à mon avis, quatre enseignements : la participation très importante des électeurs pour ce premier tour indique, une fois encore, que l'élection présidentielle mobilise massivement les citoyens et demeure l'élection phare et le grand rendez-vous des Français avec leur démocratie. Ensuite, le très haut score de Marine Le Pen, bien sûr, qui, avec près de 18%, atteint un record historique (6 millions d'électeurs ont voté pour elle). Ce score traduit autant la très bonne campagne de Marine Le Pen que le succès de sa tactique, paradoxale, de dé-Lepénisation, que l'ampleur, désormais, hélas habituelle, du rejet des candidats dits «du système» et en particulier, bien sûr, du président sortant. Le spectre du 21 avril 2002 et de l'élimination de Lionel Jospin dès le premier tour marque encore les consciences de gauche. Arrivé en tête au premier tour, François Hollande réalise le meilleur score jamais obtenu pour un candidat socialiste à une élection présidentielle. Dans les isoloirs, ceux qui hésitaient entre lui et Jean-Luc Mélenchon ont préféré «voter utile» que disperser leurs voix. Le dernier élément saillant c'est bien sûr le score modeste – mais pas du tout catastrophique – de Nicolas Sarkozy qui recueille 27,18% des suffrages, soit 1,6 million de voix de moins qu'en 2007. Or, son objectif était d'arriver en tête pour espérer créer une dynamique entre les deux tours. Cette deuxième place est cruelle pour le président sortant (à l'inverse, arriver en tête au premier tour ne signifie pas forcément remporter l'élection), car c'est une première dans l'histoire de la Ve République. -Le score du Front national a eu un effet immédiat : l'UMP ne parle plus que d'immigration et de frontières... Oui, c'est ce que j'appelle le paradoxe de la stratégie Buisson (du nom de ce conseiller de Nicolas Sarkozy, réputé proche de l'extrême droite). Selon cette stratégie, il s'agissait de gagner au premier tour en fédérant les électeurs de droite et de l'extrême droite sur les valeurs (identité nationale, travail, immigration) puis, en engageant une dynamique de recentrage entre les deux tours, de rassembler plus largement le centre pour le second tour. L'idée était que le premier tour devait se gagner très à droite, mais que l'élection présidentielle, conformément à la logique d'une élection à deux tours, se gagnerait plus au centre. Le score très important de Marine Le Pen annule cette stratégie et renforce la première manœuvre : désormais, avec un François Bayrou à 8%, qui a réuni sur son nom des électeurs très hostiles au président sortant, les seules réserves de voix se situent à l'extrême droite : il faut donc pour Sarkozy récupérer ces voix coûte que coûte. Pour lui, c'est là que se jouera l'élection. -Nicolas Sarkozy a-t-il raison d'aller vers plus de droitisation au risque de faire fuir les centristes ? D'un point de vue tactique, il n'a pas vraiment le choix. Les électeurs de François Bayrou appartiennent sans doute autant à la gauche qu'à la droite, et, avec un score de 8%, ils sont deux fois moins nombreux que ceux de Marine Le Pen (6,4 millions pour le Pen contre 3,2 millions pour Bayrou). Les vraies réserves de voix sont du côté des électeurs de Marine Le Pen, en particulier les milieux populaires et les ruraux qui avaient voté pour Sarkozy en 2007 et, déçus, ont préféré Marine Le Pen en 2012. C'est à ces catégories que Sarkozy va s'adresser en priorité pour reconquérir leur suffrage. Cela va se faire à travers une réorientation du discours sur 3 thèmes centraux pour ces électeurs : le travail, la protection et l'immigration. Sera-t-il crédible ? -Comment voyez-vous l'après-6 mai ? Je pense que François Hollande va remporter cette élection présidentielle. Arrivé en tête au premier tour, il est à même de créer une dynamique. Surtout, je crois que l'antisarkozysme est profondément ancré dans la société française : les électeurs rejettent massivement la personnalité et le bilan du président sortant. Comme que le montre le score de Marine Le Pen, il n'est pas parvenu à renverser la vapeur. François Hollande va gagner parce qu'il incarne l'alternative à Nicolas Sarkozy. Je crois ensuite que si Nicolas Sarkozy perd, l'UMP va se disloquer. Peut-être émergera-t-il sur les ruines de l'ancien parti présidentiel une droite plutôt centriste autour de François Fillon et une droite nationale autour de Marine Le Pen et agrégeant tous ceux – de la «droite populaire» (un courant de l'UMP) à Dupont-Aignan - qui se reconnaissent dans un corpus idéologique alliant souverainisme, nationalisme et protectionnisme.