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Mon combat à moi, c'est la lutte contre l'oubli
Leïla Aslaoui Hemmadi. Auteure et ancienne ministre
Publié dans El Watan le 27 - 04 - 2012

Leïla Aslaoui Hemmadi revient au devant de la scène littéraire avec un saisissant livre intitulé Sans Voile, sans Remords, publié aux éditions Dalimen. Dans cet entretien, l'écrivaine revient sur les personnages forts de cette histoire pathétique. Leïla Aslaoui Hemmadi dédicacera son livre le 28 avril, à partir de 15h à la librairie du Tiers-Monde à Alger.
- Bahidja, une ancienne camarade de classe de l'auteure, est un personnage fort qui a vécu des moments douloureux. A travers la parole, elle a quelque peu exorcisé cette souffrance que vous avez brillamment couchée sur le papier...
Bahidja était ma camarade de classe au lycée Frantz Fanon (ex-Lazerges), à Bab El Oued. Nous n'étions pas amies, tout juste camarades. Je dirais même que son côté boute-en-train à l'époque (1963) ne m'attirait pas. «Trop réservée et trop sérieuse», disait-elle de moi. Rien ne me prédisposait à écrire son histoire. Et je fus étonnée de la voir en cette fin d'année scolaire de 1963 me confier une partie de son secret. L'émotion réelle et sincère qui m'a conduite à l'écriture est venue longtemps après, soit le 12 janvier 2011 lorsque je l'ai rencontrée 48 ans après, dans une artère de la capitale. Ce jour-là est né Sans Voile, sans Remords. Après avoir longuement mûri dans ma tête, le projet d'écriture a pris forme peu à peu. Vous me demandez si Bahidja est guérie. Je ne crois pas que l'on puisse panser des blessures aussi profondes rapidement. Je peux affirmer, cependant, que Bahidja, avec un courage hors pair et beaucoup de dignité, «s'accroche» à la vie et met des mots sur sa douleur. Comme diraient les psychologues : elle parvient à la verbaliser. Mais ce qui est constant chez elle, c'est son refus non négociable de se retrouver sous les feux de la rampe à l'occasion de la parution de l'ouvrage. Elle est victime du terrorisme – islamiste – et elle n'est que cela. Pourtant, elle ne peut s'empêcher de dire : «Oui, mais je suis la mère d'un assassin.» Cela étant, le fait de vivre le plus souvent auprès de ses filles et ses petits-enfants en France l'aide à remonter la pente quand bien même elle revient en Algérie. Une vie qu'elle décrit fort bien «partagée entre mes morts et les vivants».
- Comment s'est porté votre choix sur ce titre, révélateur à plus d'un titre Sans Voile, sans Remords ?
Avant ce titre, il y avait eu Le voile des blessures. Puis après avoir longuement discuté avec la directrice des Editions Dalymen, Nedjam Dalila, nous avons convenu que Le voile des blessures ne rendait pas suffisamment compte tant de l'histoire de Bahidja que de la violence (ou des violences qu'elle eut à subir). C'est alors que me vint l'idée de cet autre titre Sans Voile, sans Remords, qui entend déculpabiliser Bahidja d'une «faute» qu'elle n'a pas commise et se veut surtout un message d'espérance : le triomphe de l'amour incarné par le personnage de Mehdi.
- Nouria la moudjahida, la sœur de Bahidja, reste le personnage principal de ce roman qui se lit d'un seul trait...
Je vous remercie de me poser cette question parce qu'elle est importante. En effet, si Bahidja est narratrice d'un bout à l'autre de l'ouvrage, Nouria «la disparue » en est le personnage principal. Elle est le lien avant tout entre deux pages douloureuses de l'histoire de
l'Algérie : 1 celle de la guerre d'Algérie. 2 celle des années du terrorisme islamiste. Elle est ensuite celle qui a «fauté» aux yeux de son frère. Elle est celle pour laquelle Bahidja a expié cette prétendue faute. Elle en est l'héroïne qu'elle a toujours été face à l'histoire avec un grand H. Nouria est la parole libérée de toutes les Algériennes face à la violence des lois discriminatoires, des mentalités rétrogrades et celle aussi de l'histoire. Dans sa tourmente, elle entraîne Bahidja qui assume seule le poids de l'histoire et toutes les violences qui en découlent.
- Redouane, le fils de Bahidja, est un terroriste notoire qui incarne l'extrémisme et la folie…
Redouane, c'est l'Algérie des années sanglantes plongée dans la folie meurtrière où il fallait se méfier de son voisin, de son (sa) collègue, de son fils, de son frère… Et on aura beau cultiver l'amnésie collective, les lois, ordonnances ou décrets parachutés d'en haut n'empêcheront nullement les générations futures de questionner l'histoire pour savoir comment des jeunes comme Redouane (ouvrage) ont été embrigadés par l'islamisme et programmés pour tuer, mutiler et haïr, y compris les proches parents. Questionner pour comprendre pourquoi ? Comment ?
- La narration est de construire sous la forme d'un va-et-vient entre le passé et le présent...
En effet, l'écriture est une arme qui permet de transmettre des messages forts. Ecrire fait mal, mais mon combat à moi c'est la lutte contre l'oubli, contre l'amnésie imposée. Il est impossible d'occulter la «décennie noire». Il est surtout illusoire de croire que nos propres violences se sont tues. En les «enterrant», l'on ne fait qu'attiser la haine. Le pardon sans justice est une grave erreur qu'un jour nous paierons. Récemment, une dame me disait qu'elle avait lu Sans Voile, sans Remords et s'est dit étonnée (ce sont ces propres termes) que je reparle du terrorisme. Je lui ai répondu que le jour où justice sera rendue aux victimes du terrorisme, j'écrirais un ouvrage sur les papillons, les fleurs ou les fourmis rouges.
- Vous avez habitué vos lecteurs à une publication par an. Quelle est l'esquisse de votre prochain ouvrage ?
Il y a un nouveau projet d'écriture, mais j'en suis encore au stade de la réflexion.


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