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Ali Fateh Ayadi, dire en images la complexité de l'histoire
« La France n'a pas exorcisé son passé colonial »
Publié dans El Watan le 23 - 02 - 2006

Producteur indépendant, réalisateur-scénariste issu de l'école de l'ex-RTA qu'il rejoint après des études audiovisuelles en France, Ali Fateh Ayadi est connu pour ses travaux documentaires centrés sur l'environnement avant qu'il n'investisse le champ de l'histoire pour laquelle il propose une approche sans préjugés ni tabous. Il est l'auteur d'un documentaire sur l'OAS et prépare des films sur Les enfumades du Dahra et sur La justice coloniale et Les avocats du FLN. Il est de ceux qui avaient anticipé sur les possibles remous que susciterait la loi du 23 février 2005, votée par l'assemblée française. C'est de la complexité du lien entre l'image, la mémoire et l'histoire que son œuvre de documentariste entend rendre compte.
Vous explorez, depuis longtemps, les liens entre l'image, la mémoire et l'histoire avec des films sur les massacres du 8 mai 1945, ou sur l'OAS. Que voulez-vous apporter d'inédit sur des événements qui ont souvent été occultés dans le discours officiel ?
Je pense que l'inédit dans les thèmes que j'ai eu à traiter réside dans la véracité des témoignages et l'approche utilisée. Pour le 8 mai 1945, plus de 200 personnes ont été questionnées. Un long travail de recoupement a été fait, et ont été retenus les témoins oculaires et les acteurs de ces événements. En ce qui concerne l'OAS, c'est incontestablement Jean-Jacques Susini, chef OAS et le docteur Chawki Mostefaï représentant du FLN. Faire parler ces gens sur le fameux accord FLN-OAS relevait du défi... Voilà un peu d'inédit. Il en a été de même pour le doc De Rome à Evian où les pourparlers franco-algériens ont été traités dès les premiers contacts en 1956 à Alger avec le concours d'André Mandouze ou bien de la rencontre de Belgrade sous la houlette de Tito en avril 1956, un épisode peu connu et pourtant ces négociations ont duré 3 mois.
L'analyse du colonialisme et de ses effets pervers nourrit votre travail . Outre les témoignages d'acteurs de l'histoire, disposez-vous aujourd'hui d'archives et de sources suffisantes pour vous permettre d'aller très loin dans votre exploration des domaines de l'histoire ?
C'est la bonne question... La recherche d'archives me prend le plus de temps. Les archives écrites posent moins de problèmes mais les archives filmées sont insuffisantes et non répertoriées. Je saisis cette occasion pour rendre hommage à la Télévision algérienne qui a entrepris un travail colossal pour améliorer la qualité des archives. J'estime que l'on doit se tourner vers l'ex-Yougoslavie et vers la France pour récupérer nos archives.
Vous avez été parmi les premiers à rebondir sur la loi du 25 février 2005, votre connaissance de ce thème vous porte-t-elle à croire qu'il n'y aura pas de tentations similaires de réécrire l'histoire ?
L'histoire est réécrite, elle est récupérée selon le bon vouloir des politiques, pour des raisons électoralistes ou tout simplement pour sauvegarder une image de la France.
Dans le cas de la loi du 23 février 2005...
La France qui n'a pas exorcisé son passé colonial en fait une description matérielle, à savoir la construction des routes, d'hôpitaux, etc. On oublie souvent la situation des colonisés. On oublie aussi que l'on est chez les autres. Si on veut que l'histoire ne soit ni falsifiée ni manipulée, il faut qu'elle soit sur l'espace public avec des garde-fous que sont les historiens qui doivent nous éclairer et c'est comme cela que l'on avancera dans la connaissance de l'histoire.
Etes-vous en mesure d'affirmer, en vous appuyant sur votre expérience, que l'approche de l'histoire ne s'expose ni à la censure ni à l'autocensure ?
Je ne puis l'affirmer, et j'ajoute que lors de mes entretiens avec certaines personnes concernées par l'histoire de notre pays, j'ai eu droit à des réponses telles que « ce n'est pas le moment de le dire » ou bien « l'histoire en jugera » donc ces gens s'autocensurent. Il y a aussi de la rétention de l'information, alors que le devoir de mémoire nous impose l'obligation morale de témoigner pour la connaissance et la transmission de l'histoire. Une autre forme de censure par l'image cette fois-ci. La diffusion par les services de l'armée d'images de soldats français distribuant du chocolat aux enfants, des soldats médecins qui soignent des Algériens alors que la réalité était toute autre. Ces images rediffusées maintenant deviennent témoignages et servent à s'approprier une histoire réelle censurée et réécrite pour servir l'intérêt de personnes ou de groupe de personnes à des fins très souvent politiques. Quant à mes rapports avec la Télévision algérienne principale diffuseur de mes produits, je n'ai, à aucun moment, été l'objet d'une censure.
Outre votre attachement au documentaire, avez-vous aussi des projets dans le domaine de la fiction ?
Je termine l'adaptation pour le cinéma d'un roman Pauline Roland écrit par mon ami Fayçal Ouaret, architecte et romancier. Ce film racontera un passage de la vie de Pauline Roland, une Sainte Simonienne exilée à Sétif en 1852... la suite dans le film.


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