Attablé à la terrasse d'un café maure, Abdenour, enseignant, semble indifférent à cette journée des élections législatives. «Je ne vote pas, non parce que je ne me reconnais pas dans les listes en lice, mais par rejet du scrutin lui-même qui ne garantira pas le changement. Il faut aller plutôt vers une période de transition, si on veut redonner confiance au peuple et espérer un changement profond», dit d'emblée ce citoyen de la commune d'Irdjen. «Pour se doter d'une assemblée à la hauteur des aspirations, il nous faudra une assemblée représentative et consensuelle et non une APN préfabriquée à l'image de celle qui sortira à l'issue de ce scrutin.» Des abstentionnistes, des partisans du boycott, on en a rencontré beaucoup lors d'une tournée dans quelques localités de la Kabylie. Exprimant à la fois leur rejet au scrutin par l'abstention, ils espèrent, surtout, que ce faible engouement de la population pour les urnes donnera matière à réfléchir au pouvoir. Sur le terrain régnait une sérénité absolue dans le déroulement du vote. Pas le moindre incident qui méritait d'être signalé. Hier, il n'y avait pas foule devant les centres et bureaux de vote à travers des localités visitées. Dans un bureau de vote au chef-lieu de wilaya, il a été constaté au même titre que dans les autres communes la défection des militants chargés par leur candidat de la surveillance. Des agents réquisitionnés à cette occasion déambulent dans le couloir de l'école primaire Arezki Dali, à Tizi Ouzou. Il est 8h. Ici, on attend d'hypothétiques votants. En ville, il y a plus de monde dans les cafés, dans les marchés que dans les bureaux de vote. Une journée ordinaire pour les uns et un tournant décisif pour les autres. A Larbaâ Nath Irathen, un jeune, recroquevillé au pied de la mosquée de la ville, un café dans un «jetable», s'est montré catégorique : «Non, surtout pas cette année. J'ai l'habitude de voter et mon abstention ne répond à aucun appel au boycott de tel ou tel parti politique. Je crois que nous avons trop donné à nos institutions sans qu'elles nous renvoient l'ascenseur.» 10h, le taux de participation à l'échelle de la wilaya est de 2%. Décidément, ni la campagne électorale conduite tambour battant par les candidats des 32 listes en «compétition», ni les incessants appels des autorités, artistes et dirigeants politiques n'ont ébranlé la conviction des abstentionnistes. Les séquences du discours du président de la République passées en boucle toute la journée à la radio n'ont pas eu d'effet sur la population d'Illilten (4% de participation à 14h) et de Mekla (12,34% à 16h) qui garde en mémoire l'absence de l'Etat lors des dernières intempéries et catastrophes naturelles qui ont frappé ces deux localités respectivement en avril et février derniers. «J'ai toujours en mémoire ce que ma famille et moi avions enduré lors de la tempête de neige à la recherche d'une bonbonne de gaz butane. Des responsables qui traînent le pas avant de venir à votre secours plusieurs jours plus tard», lance un ouvrier, rencontré dans la commune de Mekla. A Azazga : «Je ne suis guère étonné du manque d'affluence des électeurs. C'était prévisible. Les candidats ne rassemblaient pas, ici, plus de 200 personnes pour leurs meetings. Dans d'autres conditions, nous faisons plus de 11,50% à la même heure, 15h. Il faut dire aussi que le niveau des candidats laisse à désirer.» Dans la même ville, un autre jeune, employé dans le cadre du préemploi, a déclaré : «Mon statut professionnel suffit amplement pour rejeter ces élections. Je ne peux pas faire confiance à la prochaine Assemblée pour me sortir de la précarité.» Destination Freha ; il est 16h. Les villes d'Azazga et Freha, habituellement grouillantes de monde, sont vides. «Ceux qui ont choisi de voter n'ont pas été empêchés, ça se passe bien. Les gens se respectent. Je voulais voter dans la matinée, mais j'ai attendu l'après-midi, histoire de sonder le terrain et voir si les conditions s'y prêtaient vraiment», dit un quadragénaire accompagné de sa femme sur le chemin d'un centre de vote à Freha.