Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
«Pour toutes les chaînes publiques qui ne changent pas, c'est la mort» Naglaa El Emary. Chef du bureau du Caire et des projets spéciaux auprès de BBC Arabic
Chef du bureau du Caire et des projets spéciaux auprès de BBC Arabic, Mme Naglaa El Emary nous explique, dans cet entretien, le processus de transformation de la presse publique dans les pays en transition. - Plusieurs pays sont actuellement dans une phase de transition. Quel est le rôle des journalistes dans ce cadre ? Je pense que le rôle des journalistes est déterminé par le pouvoir en place et par la société civile. Avant, le citoyen ne parlait pas, ne s'occupait pas de politique, maintenant tout le monde veut parler d'une voix haute et réclamer ses droits. Donc, ce sont les deux nouveaux enjeux des journalistes. Comment cela change-t-il ? Le journaliste lui-même se retrouve dans une situation qu'on ne peut guère lui envier. Tout le monde le critique plus ou moins, y compris le pouvoir en place qui est venu par un processus totalement démocratique, mais n'est pas habitué aux critiques, et de voir les journalistes et les médias remettre en question, observer et rendre compte du travail du pouvoir en place. Il y a, par ailleurs, les jeunes qui veulent un changement très rapide et qui tiennent les journalistes pour responsables de l'absence de ce changement beaucoup plus que l'acteur politique, parce que c'est le journaliste qu'ils voient tous les soirs au journal télévisé. Véritablement, le journaliste n'est pas dans une situation très confortable. En plus de cela, il y a un manque de professionnalisme. Pendant des décennies, dans tous ces pays en transition, il y a eu un processus de dégradation de la formation, et par ricochet, la profession s'est elle aussi dégradée. Il y a des générations de journalistes qui n'ont pas appris à exercer leur profession et se retrouvent tout d'un coup dans une situation où ils ont la liberté et ne savent pas comment l'utiliser. Les jeunes Tunisiens se disent : «Nous sommes libres, on peut faire tout ce qu'on veut, mais que faire et comment utiliser cette liberté ?» Et ce n'est pas facile, c'est un peu trop compliqué. - Justement, pour ces médias publics qui ont exercé durant des années sous contrôle, comment passer soudainement à plus d'indépendance et de professionnalisme ? A mon avis, «soudainement» n'est pas le mot qu'il faut. Il faut de la patience, quoique la notion du temps n'est pas comme il y a dix ans. La nouvelle génération, qui utilise internet, facebook et tweeter, a une notion du temps qui n'est pas la mienne par exemple. Ils veulent tout et tout de suite. Et cette génération, qui est au pouvoir et à la tête des institutions, doit comprendre qu'il faut faire quelque chose et vite. Je pense que, d'abord, le pouvoir en place a compris le message et il est vraiment résolu à aider les médias à se transformer en médias du secteur public et non en médias gouvernementaux. Ces derniers étant au service du pouvoir. - Mais pour un groupe privé, investir dans l'audiovisuel est coûteux… Le problème est que dans les trois pays (Tunisie, Libye, Egypte, ndlr), par manque de transparence, on ne sait même pas d'où viennent tous ces capitaux. Il y a un vide juridique. Il n'y a pas de lois qui demandent à ces entreprises de déclarer la provenance de leurs capitaux. C'est cela qui est vraiment un grand danger, parce qu'il y a énormément d'argent, et on n'en connaît pas la provenance. - A votre avis, y a-t il une volonté à faire de ces médias un acteur social ? De la part du citoyen et des journalistes, oui, du pouvoir politique, j'ai des doutes. C'est un processus qui est tout à fait nouveau, et tout le monde est dans un état d'apprentissage, et c'est cela qui donne un peu d'espoir et de confrontation. La confrontation, à mon avis, est un aspect positif. Le retrait du citoyen et de la voix publique, cela était négatif. La confrontation est positive parce que les journalistes et le pouvoir doivent apprendre à se comprendre et s'écouter les uns les autres. - Les informations fusent de partout grâce à internet et au nouveau monde numérique. Croyez-vous que cela va obliger les pouvoirs à s'ouvrir eux aussi ? Il n'a pas le choix. Toutes ces chaînes publiques qui ne changent pas sont appelées, plus ou moins, à mourir. Les révolutions arabes ont prouvé que les gens ne sont plus obligés à se fier aux médias étatiques.